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Liaison, 25 mai 2006

Critique invitée : Pierrette Denault
Étudiante à l'Université du troisième âge

Un oratorio magistral

Richard Powers devait avoir des notes plein les mains quand il a écrit Le Temps où nous chantions, un pavé de 763 pages bien tassées! La traduction française de cette œuvre, choisie par le Washington Post et le New York Times comme étant le meilleur livre de l'année 2003, vient tout juste de paraître.

Lorsqu'il ouvre Le Temps où nous chantions, un roman qui le tient en équilibre sur une colonne d'air, le lecteur a lui aussi des notes plein les mains. Il parcourt les 33 chapitres en retenant son souffle, se faufile au milieu d'une famille multiraciale américaine entre 1939 et 1979 alors que la musique et les conflits interraciaux occupent tout l'espace.

En faisant se croiser en 1939, à Washington, au détour du concert de Marian Anderson, les chemins d'une jeune noire américaine et d'un immigrant juif allemand qui fuit le nazisme, Richard Powers réunit ici tous les éléments pour une histoire à la fois troublante et prometteuse. De l'union de Delia Daley et de David Strom naissent trois enfants de couleur de peau différente (au point où on doutera parfois de leur consanguinité!) qui partagent une même passion pour la musique pour laquelle ils ont un talent exceptionnel. Il y a d'abord l'aîné, un véritable virtuose du chant classique -sa voix de ténor couvre facilement trois octaves et demi- dont le frère dit : «Jonah ne voulait vivre nulle part ailleurs que dans la perfection». Il y a aussi Joey, le narrateur, qui vit dans le sillage de Jonah et à qui il consacre une partie de sa vie comme pianiste attitré. Puis vient leur sœur, Rootie, qui, grâce à la musique, trouve sa place dans un monde devenu de plus en plus injuste pour les Noirs.

S'il est vrai que ce sont les personnages forts qui font les bonnes histoires, ce roman en fait une véritable démonstration. Toutefois les personnages les plus puissants de cette œuvre sont sans contredit la musique et la couleur. Chaque page, lento, lento, est habitée par «les Strom (qui) chantent avec un art ancré dans leur corps, c'est une constante qu'ils possèdent en eux, un trait de caractère immuable, comme la couleur de l'âme». Powers entraîne le lecteur dans l'univers très vaste de la musique : celle des classiques –Schubert, Beethoven; celle de Motown, des Beatles; celle des negro spirituals, du be-bop, des chœurs polyphoniques, des rappeurs. Toujours on entendra aussi d'autres sons. Beaucoup plus lugubres ceux-là. Émeutes raciales, discriminations sournoises servies en toile de fond illustrent l'injustice subie par les Noirs américains pour qui, encore aujourd'hui, (rappelons-nous Katrina) la vie n'est jamais pareille à celle des Blancs du même pays. Le défi qui attend les Strom à la sortie de leur petit cocon familial sera celui de se tailler une place dans ce monde ségrégationniste, pauvre et obsédé par la violence.

Le lecteur pourrait perdre pied dans un texte aussi dense où se multiplient les nombreux va-et-vient entre le présent et le passé, entre l'ici et l'ailleurs, mais Powers propose ici une narration polyphonique très habile et il fait avancer le récit avec doigté en maintenant, pour le plus grand plaisir du lecteur, le suspense jusqu'à la dernière note (oups!) jusqu'à la dernière page. Quelques mots à propos de l'auteur. Powers aurait pu être chercheur en physique, musicien classique ou programmeur informaticien mais, selon ses propres mots, il a été «kidnappé» par l'écriture. En 1985, il publie Trois fermiers s'en vont au bal, un premier roman louangé par la critique. Presque vingt ans plus tard, il s'amène avec un deuxième roman qui lui a valu d'être encensé par la critique et comparé à Roth, Garcia Marquez, Mann et Proust.

La lecture de ce roman ne laissera personne indifférent. Les thèmes abordés sont universels : le respect des différences, la liberté, les valeurs familiales, la quête du beau. Ainsi, comment ne pas se sentir interpellé quand on lit : «Ce que nous craignons le plus, c'est de nous perdre dans la ressemblance.» Et plus loin : «Il n'y a que les Blancs qui peuvent se payer le luxe d'ignorer la couleur de leur peau.»

Bref, Le Temps où nous chantions est un oratorio magistral. Une musique obsédante dont l'écho se multiplie longtemps une fois le livre refermé.

Le Temps où nous chantions. Richard Powers, le cherche midi, coll. Lot 49, 763 p., 39,95 $

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