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Liaison, 25 mai 2006
Le droit confronté à la crise des valeurs
STÉPHANIE RAYMOND
Le droit à l'accès aux soins, mais des ressources insuffisantes pour
répondre à la demande. L'égalité comme valeur fondamentale de notre
société, mais le respect des différences religieuses qui entrent parfois
en conflit avec l'égalité. Quel rapport doit s'établir entre valeurs et
droits dans une société où les valeurs semblent être en crise? Cette
réflexion a animé le Colloque La crise des valeurs tenu le 10 mai à la
Faculté de droit, dans le cadre des Premières Rencontres scientifiques
universitaires Sherbrooke - Montpellier.
Deux présentations de professeurs de droit de l'Université de
Sherbrooke et de l'Université de Montpellier 1 ont touché des questions
particulièrement délicates, «L'accès aux services de santé : conflits de
valeurs et de moyens» et «Universalisme et diversité : le cas de la
liberté de religion».
L'accès aux services de santé : un dossier épineux
L'accès aux soins constitue une valeur primordiale, mais deux nouvelles
réalités provoquent une crise des valeurs. D'abord, la médecine moderne
offre de nouvelles possibilités : prolongement de la vie à l'extrême, ce
qui soulève la question de l'euthanasie, survie de prématurés mais avec
possibilité de séquelles, changement de sexe, etc. «Du coup, le droit doit
intervenir sur un terrain de valeurs jusqu'alors inconnu», explique
François Vialla, de Montpellier. En second lieu, l'État ne s'est pas donné
les moyens pour répondre aux besoins croissants en santé.
Selon Suzanne Philips-Nootens, spécialiste en droit de la santé à l'UdeS,
l'État québécois a voulu résoudre la crise à coups d'expédients et de
réformes structurelles. «La dignité humaine n'est pas considérée, nous en
sommes venus à simplement gérer des listes d'attente. Ceci est indigne
d'une société moderne.» Selon la professeure, l'État québécois est piégé
entre l'idéal qu'il s'est donné et les moyens pour le financer : «Le
régime d'assurance-maladie date de 1970, et aujourd'hui nos ressources ne
peuvent plus répondre à la demande».
Une solution avancée, existant notamment en France, serait la
coexistence de systèmes de santé public et privé. «L'État interdit aux
citoyens de dépenser leur argent pour recourir à des assurances privées en
santé, alors que leur vie peut être compromise en raison de listes
d'attente. Le droit à la vie est fondamental!» Une deuxième solution
serait que l'État définisse clairement les services offerts et leurs
limites, qui doivent être réalistes. «Nous restons des êtres mortels et
l'on doit, à un moment, arrêter de vouloir prolonger la vie.» Le débat
doit, conclut Suzanne Philips-Nootens, être mené sereinement, en tenant
compte de la dignité du patient, «une valeur non négociable».
Liberté de religion et respect de nos valeurs fondamentales
Comment jongler avec le respect des valeurs universelles telles les
droits de l'homme et le respect des valeurs des minorités religieuses dans
un monde où les croyances tendent à s'afficher de plus en plus comme
facteur d'identité?
En France, les valeurs républicaines de la laïcité et de la neutralité
teintent les rapports aux minorités culturelles et religieuses. C'est
pourquoi le port du voile ou de tout autre signe religieux ostentatoire a
été interdit à l'école publique, «lieu où tous les citoyens doivent être
égaux», explique la professeure de Montpellier, Vincente Fortier.
Au Canada, la tolérance religieuse va plus loin que la neutralité :
elle protège les minorités et constitue une valeur fondamentale. Mais à
quel point? «Nous prônons l'accommodement raisonnable, explique Sébastien
Lebel-Grenier, spécialiste de l'UdeS. Si les manifestations religieuses
n'entrent pas en conflit avec nos valeurs fondamentales et ne sont pas
discriminatoires, nous les permettons. » Par exemple, la Cour suprême du
Canada a tranché en faveur du port du kirpan à l'école, mais contenu dans
une boîte en bois elle-même cousue dans une poche de toile pour garantir
la sécurité des élèves. «Nos sociétés modernes doivent trouver des
réponses à deux questions : celle de l'intolérance face aux cultures
intolérantes, et celle des valeurs d'égalité et d'autonomie face à des
valeurs contraires de certaines minorités culturelles», conclut le
spécialiste.
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