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Un regard suisse sur la vie sherbrookoise
La rubrique Carnets de voyage propose habituellement le
regard d'étudiants québécois partis à l'étranger. Cet hiver, un étudiant
français partageait avec nos lecteurs le récit de son séjour à Sherbrooke.
Cette fois, c'est un étudiant d'origine suisse qui se prête au jeu. Il nous
propose la vision subjective d'un étranger ayant passé dix mois surtout
entre la rue Wellington et l'Université.
THOMAS NOYER
Étudiant à la Faculté d'éducation
L'accueil
Ll commence en Suisse : quand Bertrand (le chum montréalais de mon
amie Francesca) apprend que je vais partir à Sherbrooke, il me promet ses
clefs d'appartement pour mes fins de semaines. On s'était vus deux heures.
Le soir avant mon décollage, je reçois un appel de Francesca : «avant que tu
partes, Bertrand voudrait te donner ses clefs». Je fais les doubles à
Londres. On s'était vus quatre heures.
Arrivé à Montréal, je fais mes téléphones pour trouver un appartement en
colocation. Une certaine Dania me répond : «viens-t'en, et si l'ambiance ne
te plaît pas, je t'invite à rester quelques jours et faire des téléphones,
le temps que tu trouves autre chose». Encore sous l'émotion de ce geste de
générosité désintéressé, j'en parle au coloc de Bertrand : «tiens, appelle
ma blonde, elle s'en va à Sherbrooke demain matin». On s'était vus une
heure.
Les études
L'Université de Sherbrooke est réputée pour sa pédagogie pratique. Pour
un européen, c'est très complémentaire et formateur. Pour ma part, les cours
de counseling d'orientation et les supervisions ont eu un impact
considérable sur mon développement personnel, ce qui n'a fait que renforcer
l'effet du voyage, étant loin de ses repères, de ses habitudes, de ses amis,
de sa famille. Au voyage extérieur s'est ajouté le voyage intérieur, de
Thomas à Tom.
Les mots et tournures de phrases
Les Québécois n'ont pas leur pareil pour créer la langue avec humour.
Aqua Bon distribue l'eau oxygénée, Jean-Pierre Gagné est expert
comptable, Mireille Lefaulx esthéticienne diplômée, Léonce Plante tient une
fraisière et Monsieur Desbiens est courtier en immobilier (tout ça est
vrai!). Alors qu'en Europe, putain, bordel, saloperie, ce sont les
prostituées qui en prennent un coup, ici c'est la religion, hostie,
tabernacle, christ, calice. En plus, la gang – à ne pas confondre avec
l'équipe – nous accuse de parler franglais, mais je remarque que les
étrangers non anglophones s'adaptent moins vite au parler québécois…
nobody's parfait!
À part de t'ça
Les Québécois sont des gens simples. Ils privilégient les jeans et
baskets, et tant pis si le pull n'est pas assorti aux chaussettes; ce qui
importe, c'est d'être soi. Et d'avoir la coupe des années 80 évidemment. Moi
j'avais appris une montagne de règles d'étiquette et de codes sociaux, par
exemple le fait que le tutoiement dénote un manque de respect, ou qu'on doit
lever la main pour poser une question en classe. Ici c'est tout le
contraire, si on ne comprend pas le cours, on interrompt le prof avec un «tu
veux-tu expliquer ce que tu veux dire?» cinglant. Et chez soi, on ne ferme
pas à clé.
Et puis on s'échange notre courriel (à ne pas confondre avec l'e-mail),
parce qu'il y a davantage d'ordinateurs que de Québécois. En Suisse, on
échange nos numéros de téléphone mobile, parce qu'il y en a plus que de
Suisses. Prenez sept millions d'habitants, mettez-les dans un territoire
minuscule (la Suisse), et ces personnes vont communiquer par téléphone
mobile; mettez ces mêmes sept millions d'habitants dans un territoire
quarante et une fois plus grand (le Québec), et ces personnes vont rester
devant un ordinateur… Mais ne nous trompons pas, le Québécois fait un
déplacement routinier de 8 heures pour aller voir sa famille en Gaspésie, et
le Suisse un déplacement extraordinaire de 2 heures pour voyager à
l'étranger. En été, on se demande pourquoi la chaussée est si grande. En
hiver, on se demande où on va mettre la neige. Et la nature! L'automne et
ses feux d'artifices de rouge, d'orange et de jaune. L'hiver et le congrès
des mouettes sur le lac gelé, les dunes de neige caressées par le vent, le
silence du trafic qui roule sur la pellicule de neige sèche, le matin. À
l'aube, des nénuphars de glace emportés par le courant de la rivière,
enveloppés dans leur nuage de vapeur. La réjouissance du printemps après
huit mois d'hiver. Et l'été et son fourmillement de plein air!
Mais on s'en reparle, parce qu'il y a deux voyages : l'aller et le
retour. Le dernier chapitre de l'histoire s'écrira donc en Suisse, ou
ailleurs encore.

Une randonnée de vélo entre amis. |

Le canot pneumatique permet de découvrir
la nature québécoise au fil de l'eau. |
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