Privatisation d'une partie du mont Orford
Des profs réclament un temps d'arrêt
ROBIN RENAUD
Des professeurs de plusieurs facultés estiment qu'un temps d'arrêt est
nécessaire pour évaluer les impacts potentiels de la privatisation d'une
partie du parc national du mont Orford. Le gouvernement provincial souhaite
vendre à des intérêts privés les terrains de la station de ski et du golf,
et promet en contrepartie d'agrandir le parc. Or, les conséquences
environnementales de cette décision ne sont pas connues, ont laissé entendre
les participants à un débat sur l'avenir du parc, le 21 avril. La rencontre
était organisée par l'Observatoire de l'environnement et du développement
durable.
Protéger des écosystèmes
Le doyen de la Faculté des sciences, Donald Thomas, a exprimé son
opposition au projet à titre d'écologiste. «Le dossier Orford n'est ni
émotif ni strictement régional. Si la privatisation d'une partie du parc va
de l'avant, les conséquences risquent de se répercuter dans d'autres
régions. Le mont Orford est l'une des plus hautes montagnes de l'Estrie et
donc, l'une des seules à présenter des transitions de végétation et de
géographie qui est typique de cette région. Les terrains en basse altitude
qui sont proposés en échange n'ont certainement pas les mêmes
caractéristiques de gradation verticale.» À titre individuel, le professeur
Thomas juge donc indéfendable la proposition de vente de terrains au privé
et se demande quelle est la valeur d'une loi qui défend les parcs si elle
peut être contournée par une loi spéciale.
Un choix social
Le géographe Ferdinand Bonn estime pour sa part que les Québécois sont
placés devant un dilemme, à l'égard de la redéfinition même des parcs
nationaux. «On a toujours fonctionné avec un système qui prévoit l'existence
d'une part de parcs de conservation et d'autre part de parcs de récréation,
explique le professeur. Orford est un parc qui a les deux vocations. Or, les
activités de récréation que sont le ski et le golf sont très destructives
pour la nature. L'aménagement des pentes de ski amène une érosion plus
rapide et la sédimentation des cours d'eaux, tandis que le golf emploie des
quantités importantes de pesticides. Bref, on est placé devant un choix
social quant au type de parc que l'on veut privilégier.»
La professeure de droit Suzanne Comtois, qui milite au sein de la
coalition SOS parc Orford, demande de son côté le respect de la loi qui
protège le parc national. «Le parc Orford a été créé à l'initiative de gens
de la région en 1938. Le gouvernement a tous les pouvoirs pour défendre
l'intégrité écologique du parc et c'est le rôle qu'il doit tenir. Il doit
garder une attitude cohérente dans la défense des réserves naturelles. En
ouvrant la porte à une privatisation, il risque de faire en sorte que nos
richesses collectives deviennent l'enjeu de pressions commerciales.»
Conséquences environnementales
Le directeur de l'Observatoire de l'environnement et du développement
durable, Olivier Thomas, a appelé lui aussi le gouvernement du Québec à une
plus grande cohérence politique, en rappelant l'adoption récente de la
loi 118 sur le développement durable. «Cette loi, dit-il, établit le
principe de la participation et de l'engagement des acteurs concernés en
matière de développement durable. Or, dans le dossier Orford, il est clair
que la décision est unilatérale et ne tient pas compte du point de vue de
plusieurs des acteurs concernés.»
Le débat a aussi été l'occasion de se questionner sur les conséquences
environnementales de la construction de centaines de condominiums au pied
des pentes de ski. En réponse à une question du public, le professeur
Ferdinand Bonn a laissé entendre qu'un tel projet risquait fort de
contribuer à l'étalement urbain, de compliquer la gestion des eaux de
surface et d'augmenter la circulation automobile. Olivier Thomas a plus tard
évoqué que les coûts environnementaux avaient été ignorés jusqu'à
maintenant. «Si on tenait compte des coûts environnementaux de la vente de
la montagne et de la construction des condos, on verrait rapidement que ce
bilan serait très négatif, pas pour tout le monde, mais pour la société
certainement. Si on avait les moyens de faire une étude, je crois qu'on
pourrait le démontrer facilement.»
Temps d'arrêt demandé
À la suggestion d'un spectateur membre d'une association
environnementale, les participants à la rencontre ont tablé sur la nécessité
d'amener le gouvernement québécois à prendre un temps d'arrêt pour éclairer
davantage le débat et mûrir la décision. Dans sa conclusion, Ferdinand Bonn
a semblé rallier l'opinion de plusieurs participants. «La question du mont
Orford est complexe et mérite une réflexion saine. Notre rôle
d'universitaires nous engage à prendre part à cet exercice et nous pouvons
certainement contribuer à évaluer les conséquences du projet, et amener la
collectivité à prendre une décision réfléchie et objective.»
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