Liaison, 13 avril 2006
Découvertes disques
Critique invitée : Hélène Leopoldoff
Étudiante en psychologie
Bazbaz, Sur
le bout de la langue
Mis en nomination aux Victoires de la musique 2006, Bazbaz offre dans
son 3e album une musicalité et un style qui n'est pas sans
rappeler certaines compositions de Jacques Higelin. Les morceaux sont
délestés d'arrangements superflus qui honorent de beaux textes sur
lesquels la voix de Bazbaz se pose avec émotion dans le blues.
Les arrangements musicaux font preuve d'originalité avec l'usage de
l'accordéon, de l'harmonica ou de l'orgue électrique, et très rapidement
le charme opère. Bazbaz nous présente un ensemble de mélodies aux
influences subtilement mêlées de reggae, de blues, de ragtime, de musiques
de l'Est gaies et déchirantes, variétés tropicales des années 40…
Tout en étant exigeant sur le produit livré tant au niveau de
l'acoustique que de l'instrumentation, Bazbaz nous offre avec sa voix
tendre et éraillée des rythmes langoureux et sensuels sur lesquels les
thèmes des chansons tournent inévitablement autour des femmes et de
l'amour, de la sensualité, de la rupture, le tout dans une mélancolie
souriante comme des lettres à celles qui sont passées dans sa vie.
L'atmosphère lancinante et étourdissante que suggère cet assemblage
d'univers contradictoires est propice aux balivernes sentimentalistes de
cet amoureux du monde.
Les journalistes n'ont pour Bazbaz que des qualificatifs sympathiques :
batifolant, atypique, groovy, gavroche… un amoureux qui fait de la
musique et écrit des histoires qui nous parlent avec une douce
nonchalance. Ainsi, pour qui aime s'éloigner des sentiers battus, voici de
quoi passer un très bon moment musical.
Gage, Soul
Rebel
Ce premier album de Gage offre une excellente orchestration et une
acoustique sans faille. On reconnaît très vite l'influence de Corneille,
son ex-coloc, qui a produit cet album de façon impeccable.
Soul Rebel est un album varié et dense, reflet des origines
métissées de l'artiste. Soul par nature, car doté d'une voix d'une
pureté et d'une souplesse rare qui se prête à tous les exercices de
styles. Rebel par choix, s'éloignant volontairement de la
tendance R&B pour oser les mélanges subtils (kompa, zouk, funk, reggae).
Gage a reçu son premier disque d'or en France.
L'écoute de Soul Rebel soulève un paradoxe captivant : Gage et
son équipe ont réalisé un album de soul-pop de facture assez
conservatrice. En contrepartie, les influences jamaïcaines et haïtiennes
se manifestent clairement. Le génie ici, c'est l'équilibre, le doigté avec
lequel sont calibrés la pop et les racines dont Gage se réclame. On
découvre avec plaisir ces 12 titres impeccablement pensés et construits,
qui révèlent une personnalité sensible et inspirée. Dès les premières
mesures de «N'arrête pas», la soul organique côtoie sans complexe un jam
exotique et irisé, auquel se mêlent quelques scratches hip hop percutants.
Qu'il nous confie son vague à l'âme, ses idéaux, ses amours indécises,
ses manques ou ses tourments, Gage est touchant de simplicité.
Malade Mantra,
Quatre millions de tounes
Malade Mantra est le fruit d'une synergie idéologique, philosophique et
artistique entre trois musiciens et chanteurs montréalais : André Désilets,
Mathieu Massicotte et Bruno Rouyère, un trio qui a remporté la palme dans
la catégorie Collectif au Festival international de la chanson de Granby
en 2004.
Quatre millions de tounes propose des textes qui se veulent
ironiques tout en se livrant à un exercice de réflexion sur la condition
humaine. Et de fait, les sujets abordés (la mort, l'inceste ou la folie du
monde) ne sont pas nécessairement dansants. Ici le thème commande souvent
le ton et on relève un bel effort de composition.
Le nom du groupe étonne et est empreint de symbolisme. En effet,
«malade» se réfère aux malaises humains et «mantra» à la guérison de ce
malaise. Deux idées contraires et complémentaires qui réunies semblent
évoquer un nouveau point de vue, celui de la folle prière, de la chanson
éclatée et délirante, et le but est atteint. Si les textes jouent sur les
mots, la musique aussi suggère le jeu de mots par le vocabulaire musical
employé. Malade Mantra, c'est une musique du monde pop, francophone et
rythmée, où s'intègrent des influences aussi diverses que le reggae, le
funk, le rock progressif et la musique classique indienne.
Quatre millions de tounes relève le défi de se profiler comme un
disque joyeusement déjanté et ludique, mais plus proche de la jam
session entre copains. Son instrumentation trop généreuse, chargée et
très resserrée l'éloigne des effets recherchés par les mantras justement
utilisés pour pacifier ce monde à la dérive qui est dénoncé.
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