|
Liaison, 13 avril 2006
Les acides gras : l'une des
clés de l'évolution humaine
MARIE-PIER TREMBLAY
Stephen Cunnane travaille actuellement à l'Institut universitaire de
gériatrie de Sherbrooke. Professeur au Département de physiologie et
biophysique, service d'endocrinologie, il dirige l'une des chaires de
recherche du Canada. Dans son ouvrage Survival of the fattest, il
propose une conception différente et originale de l'évolution du cerveau
humain. Il avance que l'évolution de la taille du cerveau des premiers
humains s'explique par l'adoption d'un régime alimentaire plus riche en
acides gras et en minéraux. Les bébés auraient particulièrement profité de
ces nutriments.
L'explication définitive au mystérieux développement du cerveau n'a pas
encore été trouvée et aucune théorie ne fait consensus chez les
anthropologues, évolutionnistes et scientifiques. Le professeur Stephen
Cunnane, de la Faculté de médecine et des sciences de la santé, alimente
cette controverse avec son approche originale de l'accroissement de la
taille du cerveau. Provenant d'un champ de spécialité complètement
différent, la physiologie, il a basé son approche sur la recherche des
contraintes métaboliques nécessaires à ce développement.
Le cerveau humain est deux fois plus gros que celui de notre
prédécesseur, l'Homo habilis. Comment les scientifiques
expliquent-ils cette expansion massive? Quelles circonstances et quel
environnement ont contribué à cette croissance? Le langage, la fabrication
des outils, la bipédie, voilà des facteurs que les anthropologues et les
évolutionnistes ont longtemps associés et associent encore à l'évolution du
cerveau humain. Afin de subvenir à ses besoins, l'homme aurait, grâce au
processus d'adaptation, développé certaines capacités et ainsi permis à son
cerveau d'évoluer.
Étonnamment, la clé de cette évolution proviendrait plutôt du gras de
bébé. Stephen Cunnane explique que cette approche déconcertante est pourtant
logique. C'est en se déplaçant des forêts vers les rives que les premiers
hommes ont pu bénéficier d'une alimentation sûre, mais surtout, riche en
acide gras oméga-3 appelé le DHA, en iode, en zinc et en fer. Ce sont tous
des nutriments que l'on retrouve dans les aliments d'origine aquatique ou
riveraine. Les fossiles de poissons et de coquillages mangés par nos
ancêtres découverts sur plusieurs sites de recherche abondent dans ce sens.
Ce nouveau mode de vie plus sécuritaire a permis à nos ancêtres d'accumuler
des réserves de gras et de donner naissance à des enfants ayant leur propre
réserve d'énergie. C'est dans cette particularité propre à l'homme que se
trouve la solution, car ce gras de bébé présente une très forte
concentration de DHA, une substance constituante des membranes du cerveau et
nécessaire à son bon fonctionnement et à sa croissance. «Au cours de la
période finale de la croissance fœtale, ainsi qu'au cours des cinq premières
années de la vie, la présence de gras est un facteur essentiel au
développement optimal du cerveau humain», précise le professeur Cunnane.
Ce n'est donc pas une sélection naturelle ayant avantagé les cerveaux les
plus gros qui a contribué à l'accroissement global de la taille du cerveau
humain, mais bien un régime alimentaire différent qui a favorisé une
expansion qui était déjà génétiquement possible, explique le professeur.
Cette découverte risque d'être fort utile puisqu'elle offre au domaine de
la médecine des avenues inexplorées en ce qui a trait au développement des
fonctions cérébrales, aux maladies qui affectent le cerveau et aux
conséquences des carences alimentaires sur son développement.
«L'augmentation des maladies neurodégénératives est
prévisible puisque de nos jours, notre alimentation contient de moins en
moins de ces nutriments essentiels qui influencèrent l'évolution du cerveau
humain. Ainsi, peu importe sa croissance extraordinaire, notre cerveau
humain reste toujours vulnérable à ces carences nutritionnelles», de
conclure Stephen Cunnane.
Image d'un saumon mâle adulte gravé
il y a 25 000 ans au plafond d'une grotte
dans le Périgord, en France.
Photo Centre national de la
préhistoire (Périgueux) : N. Aujoulat |
Retour à la une |
|
Stephen Cunnane |