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Liaison, 23 mars 2006
Le financement des services de garde en question
Les futures allocations fédérales risquent d'appauvrir les
ménages à faible revenu
ROBIN RENAUD
La décision du gouvernement Harper de retirer les subsides fédéraux
versés aux provinces pour le financement des services de garde risque de
pénaliser les ménages à faible revenu au Québec. Selon les trois auteurs
d'un cahier de recherche consacré à cette question, le paiement d'une
allocation annuelle de 1200 $ par enfant ne suffira pas à compenser le
manque à gagner, ce qui pourrait accentuer la pauvreté de certaines
familles.
L'étude a été réalisée par les professeurs Dorothée Boccanfuso et Paul
Makdissi ainsi que par le professionnel de recherche Mathieu Audet, du
Département d'économique de la Faculté d'administration. Selon eux, le
retrait du financement fédéral forcera le gouvernement québécois à hausser
la facture des services de garde. Celle-ci sera refilée directement aux
parents, sinon à l'ensemble des contribuables québécois.
«Nous voulions étudier l'impact sur les ménages visés par cette mesure,
en particulier sur les ménages plus vulnérables. Il ressort que les familles
monoparentales seront les plus pénalisées en cas d'augmentation du tarif des
services de garde», révèle Dorothée Boccanfuso. «Il est certain que les
familles recevront 1200 $ par enfant, mais l'argent ne tombe pas du ciel, et
d'autre part, ce montant ne comblera pas le manque à gagner d'un milliard de
dollars pour le financement des places en garderies, enchaîne Paul Makdissi.
La situation budgétaire du gouvernement québécois ne lui permettra pas de
maintenir les services sans argent neuf, et la pression populaire pourrait
bien forcer les bénéficiaires des nouvelles allocations à payer la
différence.» Selon cette hypothèse, cinq scénarios ont été établis tenant
compte de la hausse de revenus des ménages, mais aussi de quatre hausses
possibles des frais de garde (à 10 $, 15 $, 20 $ ou 25 $ par jour).
Profondeur de la pauvreté
Les auteurs de l'étude ont employé trois indices théoriques pour évaluer
les répercussions de la nouvelle politique. Le premier modèle d'analyse ne
mesure que l'incidence de la pauvreté, soit le nombre de familles pauvres.
Les données sur les revenus des familles laissent croire que la pauvreté
diminuera grâce aux nouvelles allocations fédérales. Par contre, les deux
autres modèles tiennent compte de facteurs supplémentaires dont la
profondeur de la pauvreté et l'inégalité dans sa distribution chez la
population démunie. «Cette approche est beaucoup plus pointue, et selon
nous, donne une lecture plus juste des répercussions de la nouvelle
politique. Selon cette méthode d'analyse, nous estimons que la pauvreté
augmenterait de plus de 16 % chez les couples avec enfants qui auraient à
défrayer 15 $ par jour en services de garde. Elle augmenterait de 60 % chez
les familles monoparentales, si les frais de garde atteignaient les 25 $»,
révèle Paul Makdissi. Signalons que le coût réel des services pour l'État
est d'environ 45 $ par jour par enfant. En revanche, la mesure fédérale aura
un impact positif chez les familles qui ont déjà fait le choix de garder les
enfants à la maison.
Contribuer aux débats sociaux
Cette recherche a été réalisée dans le cadre des travaux du Groupe de
recherche en économie et développement international (GREDI). Ce groupe est
spécialisé dans l'analyse d'impacts des politiques sur la distribution de
revenus, notamment dans les pays en voie de développement. Il effectue aussi
diverses analyses concernant les politiques publiques au Canada, grâce à des
fonds octroyés par le Conseil de recherches en sciences humaines.
«Notre groupe fait de la recherche qui se veut utile pour les décideurs.
Dans le cas de cette étude sur les services de garde, nous sommes conscients
qu'il s'agit de simulations et que d'autres paramètres auraient pu être pris
en compte. Néanmoins, nous souhaitons que nos conclusions sauront être
prises en considération par les élus», indique Dorothée Boccanfuso. Est-ce à
dire que le financement fédéral des services de gardes devrait être
maintenu? Paul Makdissi croit que oui parce qu'il dit préférer des
politiques qui assurent une meilleure distribution de la richesse, signalant
qu'il s'agit là de son opinion personnelle : «Quand il est question de
politiques économiques, les décideurs ont toujours le choix. Certains
prétendent le contraire, mais au fond, les choix qu'ils font sont liés à des
valeurs politiques et sociales. Or, ces valeurs peuvent être
débattues.» C'est ainsi que le GREDI travaille à fournir un éclairage neuf
dans différents dossiers de politique publique. Ces prochains mois, le
groupe s'attaquera à deux nouveaux thèmes : les conséquences appréhendées
d'une éventuelle hausse des droits de scolarité et l'impact de la hausse des
tarifs d'électricité au Québec.
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Paul Makdissi
Photo : Roger Lafontaine
Dorothée Boccanfuso
Photo : Roger Lafontaine |