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Liaison, 9 mars 2006
Applications génétiques à l'heure du thé
Un Ficus rose le lundi, vert
le mardi, violet le mercredi…
PIERRE MASSE
Vendredi, 16 h 30 au café le Kudsak de l'Université de Sherbrooke. Si
vous entendez à la table d'à côté quelqu'un proposer de changer la couleur
des plantes sur demande, ce n'est peut-être pas l'effet d'un vieux
scotch…Vous venez probablement de surprendre Daniel Lafontaine et ses
étudiants en compagnie d'autres jeunes chercheurs durant leur traditionnel
tea time…
Un coup de pinceau génétique : le riborégulateur
Ces applications surprenantes des recherches du professeur Daniel
Lafontaine, biophysicien à la Faculté des sciences, ne sont peut-être qu'un
jeu intellectuel, mais elles illustrent bien les possibilités offertes par
la connaissance de certains éléments de contrôle de la régulation génétique,
appelés riborégulateurs. «On pourrait produire des plantes dont les
riborégulateurs présents sur les molécules responsables de la pigmentation
soient activés par de la vitamine C, avance-t-il. Il suffirait alors
d'arroser avec une solution de vitamine C qu'on trouve en pharmacie pour que
la plante prenne sur commande une couleur rouge, rose, violette ou verte…»
Plaisirs scientifiques au tea time
Ce plaisir du jeu scientifique a débuté en 1999 lorsqu'après son
doctorat, Daniel Lafontaine est parti étudier à l'Université de Dundee au
Royaume-Uni. «Là-bas, le patron du laboratoire, qui était anglais, conviait
les chercheurs à 11 h pour le tea time, où tous discutaient
librement, raconte-t-il. Avec l'accent, les trois premiers mois je ne
comprenais rien, mais progressivement je m'y suis fait et j'ai surtout pris
goût à ces échanges scientifiques hors normes.» Trois ans plus tard, il en
est revenu avec l'habitude du tea time qu'il a adapté à la culture
québécoise, mais surtout avec une expertise dont l'acronyme semble taillé
sur mesure pour notre climat : le FRET (Fluorescence Resonance Energy
Transfer).
Fait FRET!
Au Canada, Daniel Lafontaine utilise le FRET d'une façon unique. En
effet, cette technique lui permet de construire des modèles tridimensionnels
des acides ribonucléiques (ARN) qui jouent des rôles essentiels dans les
processus qui utilisent l'information génétique pour assurer le
fonctionnement des cellules. Un peu comme le fait un bon tailleur pour un
costume sur mesure, Daniel Lafontaine relève les distances qui séparent
différents points sur la molécule d'ARN. Toutefois, comme ces distances sont
10 millions de fois plus petites qu'un centimètre, au lieu d'utiliser un
ruban, le biophysicien fixe deux particules fluorescentes sur des sites
sélectionnés et illumine la molécule par une lumière appropriée. L'intensité
de la lumière produite par les deux particules fluorescentes permet ensuite
de connaître la distance qui les sépare. En répétant ces mesures sur
plusieurs paires de points, il obtient le modèle en trois dimensions de la
molécule. «Avec les techniques classiques, c'est un travail de moine qui
peut durer plusieurs années et qui ne permet pas de suivre la réorganisation
spatiale d'une molécule puisqu'on travaille avec des cristaux, explique le
professeur Lafontaine. En utilisant le FRET en solution, c'est un peu
magique car ça permet d'obtenir sur-le-champ des mesures extrêmement
précises, beaucoup plus près de la réalité.»
L'étincelle
En 2002, alors que Daniel Lafontaine démarre ses recherches dans son
propre laboratoire, il entend parler de l'hypothèse d'un chercheur qui met
fin au doute qui plane depuis plus de 30 ans sur la régulation de certains
gènes. «Ronald Breaker à Yale s'est dit que certaines vitamines devaient
lier directement l'ARN messager plutôt que les protéines, comme on le
pensait jusqu'alors, raconte-t-il. Ces mécanismes impliquaient probablement
des riborégulateurs méconnus de l'ARN et pour les comprendre, il nous
fallait leurs représentations en trois dimensions. Alors j'ai fait le
rapprochement avec la technique FRET que je connaissais très bien, et j'ai
commencé à travailler là-dessus.»
Maquette d'un riborégulateur
Daniel Lafontaine a concentré ses recherches sur trois riborégulateurs
d'une bactérie commune et a obtenu leurs représentations spatiales par la
technique du FRET : «Pour un riborégulateur, on a mesuré 14 distances, ce
qui nous a conduits à deux possibilités de configuration spatiale
suffisamment différentes pour qu'une seule soit retenue par d'autres tests.»
Le biophysicien obtient alors une sorte de maquette virtuelle en trois
dimensions constituée par quatre sortes de bases. À l'aide de cette
représentation, il peut changer une base et voir la nouvelle forme que prend
la zone de régulation de la molécule d'ARNm. Ce modèle a déjà permis de
comprendre comment la liaison d'une vitamine provoque une réorganisation de
la structure de l'ARNm.
L'énigme à résoudre
Cette découverte confirme que contrairement aux autres systèmes de
contrôle génétique connus, les riborégulateurs ne requièrent pas l'aide de
protéines et procurent donc un lien direct entre l'information génétique
codée par l'ARNm et l'environnement immédiat. D'autres chercheurs ont
maintenant identifié des riborégulateurs dans les trois royaumes du vivant,
ce qui suggère fortement qu'ils peuvent être des représentants d'une forme
archaïque de régulation génétique. «L'énigme n'est pas résolue car il reste
à savoir pourquoi ils sont encore présents et quelles sont maintenant leurs
fonctions alors que d'autres modes de régulation génétique se sont
développés», précise Daniel Lafontaine.
Pendant ce temps à l'heure du thé…
En attendant la réponse, on pourra peut-être entendre Daniel Lafontaine
évoquer lors d'un autre tea time comment ses riborégulateurs
pourraient contribuer à la sauvegarde de l'environnement. Imaginez des vers
au fond des lacs, dont les riborégulateurs des ARN responsables de la
pigmentation sont activés par une substance polluante. On verrait alors
rapidement les poissons qui s'en nourrissent devenir de bons indicateurs
colorés de la qualité de nos eaux. «C'est un moment pour imaginer, discuter
de toutes sortes de pistes entre chercheurs et étudiants sans aucune
barrière, et c'est très stimulant, indique le professeur. Le tea time,
c'est important pour ça!»
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Des rencontres informelles à l'heure du thé sont sources
d'inspiration pour le professeur Daniel Lafontaine, de la Faculté
des sciences.
Photo : Roger Lafontaine
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