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Liaison, 9 mars 2006
On se calme le pompon ou
l'art de se compliquer la vie
Psychologue invitée : LUCIE GAUTHIER
Incroyable tout ce que les nerfs peuvent nous faire faire! Rougir,
bafouiller, perdre ses moyens, s'enfarger, gaffer, moduler l'appétit, suer,
trembler, ruminer, faire de l'insomnie et j'en passe… Qui n'a pas sa petite
histoire d'un moment de vie où l'anxiété était tellement forte qu'elle lui a
fait faire des idioties, des choses tellement aberrantes parfois qu'il est
difficile d'imaginer que l'on ait pu agir ainsi?
Une première
Il y a plus de 25 ans, je faisais ma maîtrise en psychologie à
l'Université de Montréal. Je me souviendrai toujours de cette journée où je
devais recevoir mon premier «vrai» client. Le rendez-vous était prévu pour
19 h; à cause de la grève des autobus, je devais prendre un taxi pour me
rendre au service d'aide en psychologie. J'avais prévu téléphoner vers
17 h 30 pour arriver quelques minutes à l'avance et me concentrer (je
devrais plutôt dire me ressaisir).
Pendant toute la longue journée, je révisais, je ressassais
continuellement mes notions professionnelles, je regardais le temps avancer
et… j'angoissais. Je devais réussir cette entrevue. C'était pour moi un
enjeu capital. J'avais l'impression que ma valeur et mes compétences
professionnelles allaient se jouer lors de cette entrevue. Juste à
penser que six paires d'yeux, dont deux paires d'yeux d'experts, seraient
braqués sur moi derrière le miroir d'observation me nouait l'estomac
et me coupait le souffle! Qu'est-ce qu'ils vont penser de moi? Est-ce que je
vais être à la hauteur? J'imaginais aussi, histoire de tout prévoir, tous
les scénarios possibles quant à l'entrevue et à la cliente : tout à coup
que… que vais-je faire si… il ne faut pas que je fasse d'erreurs… il faut
que je sois correcte. Je vous jure que, malgré mon jeune âge, j'avais de
vraies bouffées de chaleur! J'essayais de me calmer en respirant, en me
raisonnant, en marchant de long en large dans l'appartement. Ça
fonctionnait… de courts instants, mais plus le temps avançait et me
rapprochait du moment crucial, plus ma respiration s'écourtait et mes
chaleurs augmentaient.
Courage, Lucie!
17 h 30! Je prends une longue respiration et je compose le numéro de
téléphone du taxi. Je me dis au même moment : «Ca y est, c'est parti!»
«C'est à quelle adresse madame?» Stressée, je réponds : «Euh.. 1407,
boulevard de l'Université.» Quelques secondes de silence et on me demande :
«Où est-ce que ça se situe exactement? Il n'y a pas, je crois, de boulevard
de l'Université à Montréal!» Je réalise à ce moment que j'avais donné mon
ancienne adresse à Sherbrooke. Je me ressaisis et j'essaie de me concentrer
sur ma nouvelle adresse à Montréal. Ouf, ça me revient : «Je m'excuse, j'ai
fait une erreur, je suis sur la rue Esplanade.» «À quel numéro?» J'étais
tout à fait incapable de me souvenir de l'adresse! Mon stress augmentait… ma
mémoire divaguait… et je percevais que le réceptionniste commençait à douter
de ma demande. Il ne fallait surtout pas qu'il raccroche, je n'entrevoyais
aucune autre possibilité de transport! J'ai dû m'excuser à nouveau et lui
demander très poliment de m'attendre quelques instants. Imaginez! Il a fallu
que je sorte pour aller lire sur la porte le numéro civique qui y était
indiqué! Lorsque le chauffeur est arrivé, il m'a abordée en faisant allusion
à la bizarrerie de mon appel et au questionnement du réceptionniste : est-ce
que j'étais une cliente sérieuse? Nerveusement, car j'étais encore dans tous
mes états, j'ai répondu qu'en effet cela avait dû paraître bizarre, que
j'étais vraiment mêlée. Il m'a alors demandé : «Où je vous conduis?»
Timidement, je lui ai répondu : «À l'Université de Montréal, au centre
d'aide en psychologie.» Il m'a regardé du coin de l'oeil et a hoché la tête,
comme s'il venait de tout comprendre. Jamais je n'aurais osé lui dire que
l'intervenante, ce serait moi!
Le pire… lorsque je suis allée chercher ma cliente dans la salle
d'attente, elle m'a abordée en me disant : «C'est la première fois que je
consulte, je suis bien nerveuse.» Devinez ce que je lui ai répondu, très
rassurante : «Ne vous en faites pas… vous allez voir, ça va bien aller!»
La fin de l'histoire? Tout s'est bien déroulé et étonnamment, on m'a même
dit que j'avais l'air détendue et pleinement en possession de mes moyens!
Pourquoi? J'ai lâché prise sur les anticipations et je me suis finalement
centrée sur le moment présent. Tant pis! J'ai aussi fait taire les
exigences; vouloir faire le mieux, en me demandant simplement de faire de
mon mieux.
La morale de l'histoire : le grand stress nous rend parfois un peu dingo…
Se calmer le pompon, c'est intelligent finalement!
En collaboration avec le
Service
de psychologie et d'orientation
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Lucie Gauthier |