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Liaison, 9 mars 2006
La création par monts et par mots
JOSÉE BEAUDOIN
Jamais vous n'entendrez Hélène Guy crier haut et fort : «Je suis une
leader.» D'entrée de jeu, elle était même un peu mal à l'aise à l'idée de se
voir ainsi saluée dans nos pages. Pour l'amener à franchir doucement le pas,
rien de mieux que le recul d'un proche. «Hier, j'ai appelé mon père et je
lui ai demandé : est-ce que je suis une leader?» raconte-t-elle. Sincères
remerciements à Marcel Guy, professeur émérite et ancien doyen de la Faculté
de droit, car sa réponse a très bien servi notre cause : «Oui, tu es une
leader. Tu n'hésites pas à emprunter des chemins moins fréquentés parce que
tu sais fort bien que si tu rencontres un problème, tu sauras comment le
résoudre.»
Des ponts et des chemins de traverse
Que fait une professeure de littérature dans une faculté d'éducation?
Elle fait fi des frontières, tout simplement. Pour lier les différents
univers qui l'intéressent, Hélène Guy crée des chemins de traverse. Ainsi,
tout se conjugue et se rejoint : la littérature et l'alpinisme,
l'enseignement et la recherche, la culture et l'éducation, le travail et le
plaisir. «J'ai toujours aimé l'approche combinatoire, explique la
professeure. C'est naturel pour moi. Ma force, c'est d'explorer des voies
d'innovation et d'initier des projets en essayant de trouver comment on peut
faire les choses autrement. Quelqu'un m'a déjà dit : Toi, quand la porte
est fermée à double tour, tu entres comme s'il n'y avait pas de porte. Mais
si elle est ouverte, tu frappes.»
Hélène Guy crée des chemins de traverse entre les disciplines, mais elle
crée aussi des ponts entre les gens. Pour bien saisir le tableau, imaginez
d'une part une petite école primaire remplie d'enfants qui n'ont pas
nécessairement la chance d'avoir des livres à la maison ou une histoire
avant le dodo. D'autre part, imaginez de jeunes universitaires qui
commencent leurs études en enseignement et qui rêvent de se retrouver dans
une classe en compagnie de vrais élèves. Le trait d'union, c'est Lecture
sans frontières, une initiative signée Hélène Guy. Cinq fois durant la
session, ses 200 étudiantes et étudiants se rendent dans ladite école avec
des livres qu'ils ont soigneusement choisis en vue d'une heure de lecture où
seul le plaisir est roi. Une couverture, un enfant, un étudiant, une pile de
bouquins, un moment privilégié. C'est tout. Et le plus beau dans cette
histoire, c'est que ça ne coûte rien. Toute la richesse provient de
l'investissement humain.
La littérature de montagne, vous connaissez?
Si vous avez répondu non à cette question, sachez que ça pourrait bientôt
changer, car Hélène Guy consacre ses énergies et ses recherches à ouvrir
cette voie au Québec. Passionnée de hautes montagnes et de création, elle se
spécialise dans le récit d'expédition, un genre littéraire qui se démarque
du traditionnel journal de bord puisqu'il s'appuie sur une lecture
différente du paysage. Notre chercheuse travaille d'ailleurs à la rédaction
d'un protocole qui permettrait aux alpinistes de revenir d'expédition la
tête et le sac remplis d'inspiration et de matériaux de création, soit
beaucoup de photos, de notes et d'objets significatifs.
Son leadership, Hélène Guy dit le puiser à même la confiance qu'elle a en
ceux qui l'entourent. Aussi, plutôt que de publier ses propres récits de
montagne, elle a d'abord choisi de le faire collectivement avec La
montagne à portée de voix, un recueil qu'elle a dirigé avec Anne
Brigitte Renaud et qui regroupe les récits de 14 auteurs québécois et
français. «C'est un petit livre séduisant. Les commentaires des lecteurs
nous prouvent que ce qu'on voulait faire concorde exactement avec ce qui a
été reçu», dit-elle. Lancé en juin 2005, ce recueil a été initié lors d'un
colloque universitaire qu'elle a organisé deux ans plus tôt au sommet du
mont Washington. Qui l'aime la suit!
Un pas de côté pour une vue imprenable
Le printemps dernier, Hélène Guy partait en expédition au Népal avec le
groupe Karavaniers du monde. Un mois complet à la conquête du Mera Peak
(6460 m) dans l'Himalaya et d'une trame narrative pour son prochain récit.
Chaque jour, elle dînait avec les Sherpas, d'abord parce qu'elle avait le
goût de manger avec et comme eux, puis parce qu'elle voulait les découvrir
d'un point de vue différent : «J'aime entrer dans une expédition et la vivre
pleinement, mais toujours avec un pas de côté. En marge, j'ai une très bonne
vue du groupe.» De ses observations et de son imagination naîtra bientôt
D'aussi loin, le sommet, un récit mettant en lumière un petit Sherpa qui
quitte la montagne pour aller à l'école. Une fois de plus, ses passions
brilleront par leur conjugaison.
Au propre comme au figuré, Hélène Guy a des montagnes à raconter, peu
importe le terrain sur lequel on l'entraîne : les voyages qu'elle a faits,
les recueils qu'elle a dirigés, le roman qu'elle a publié, les étudiants
qu'elle accompagne, les collègues avec qui elle a tout le loisir d'innover.
En 60 minutes d'entrevue, le mot «extraordinaire» est revenu à 12 reprises,
enregistrement à l'appui. En quittant son bureau, je me suis dit que tout
tenait dans ce mot… Quoi qu'elle fasse, où qu'elle passe, Hélène Guy ajoute
de l'extra à l'ordinaire.
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