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Liaison, 23 février 2006
Découverte livre
Critique invitée : MARIE-JOSÉE MALENFANT
Commis à la billetterie au Centre culturel
Trois jours chez ma mère, François Weyergans
Un écrivain renommé, au début de la cinquantaine, est incapable d'écrire
le roman qu'il a promis à son éditeur. Il a déjà choisi le titre du livre,
Trois jours chez ma mère, mais des problèmes personnels le submergent
et l'empêchent de plonger dans l'écriture du roman. Alors il invente
François Weyergraf, qui doit écrire le livre à sa place. Bloqué, Weyergraf
s'invente lui aussi un double, François Graffenberg. Lequel à son tour
invente François Weyerstein! Tordu? Mais non, c'est même assez rigolo.
Chacun essaiera d'écrire le livre que le précédent n'a pu faire, mais aucun
n'y arrivera. C'est que l'homme est en crise; il remet en question ses choix
de vie. Un peu comme la crise d'adolescence, ce passage de la vie adulte à
la vieillesse le secoue et l'effraie (l'écrivain a donné 50 ans à son
personnage, mais il est lui-même au seuil de la soixantaine lorsqu'il entame
l'écriture du livre). Incapable de regarder le présent et l'avenir sans
éprouver d'angoisse, ses pensées se tournent constamment vers son passé. Son
enfance, sa relation privilégiée avec sa mère, ses conflits avec son père,
mais surtout ses aventures amoureuses et ses voyages. Ces souvenirs le
flattent dans son ego, il s'y voit célèbre, attirant, conquérant même, et
ils le détournent de ses problèmes financiers.
C'est un voyage dans le vide existentiel d'un homme qui se débat pour
trouver un sens aux choix qu'il a faits, et qui a très peur de n'en trouver
aucun! En effet, qu'y a-t-il dans le souvenir d'aventures sexuelles torrides
qui puisse apaiser sa peur de la mort? A-t-il vraiment profité de la vie
pour autant? D'autre part, le personnage se sent coupable de ne pas aller
voir sa mère qui est maintenant très âgée et qui vit seule loin de ses
enfants. Il reporte constamment cette visite. Cette mère qui a eu tant
d'importance dans sa vie passée, pourquoi la laisse-t-il à l'écart
maintenant?
J'ai lu ce livre triste et émouvant par petites bouffées, histoire de
digérer les émotions qu'il suscite. L'écriture est très belle, simple,
pleine de tendresse et de petites touches d'humour. Il y a un petit quelque
chose de Kundera dans cette réflexion sur les motivations humaines… une
façon de décrire les gestes en toute objectivité, sans juger. Mais
contrairement à Kundera, il n'y a pas de conclusion; ces observations
restent assez superficielles. Ce roman, bien que délicieux, m'a laissée sur
ma faim. La réflexion du personnage est intéressante à suivre, oui, son
désarroi est émouvant, bien sûr. Mais ce retour constant sur ses aventures
sexuelles passées, à la longue, ça m'a ennuyée. Comme il le dira lui-même
dans le roman, ce devrait être l'objet d'un autre livre, consacré à ses
histoires de «coucheries». J'aurais préféré qu'il étoffe ses réflexions; il
y avait matière à aller plus loin dans sa relation avec sa mère et avec les
femmes en général. Bref, j'en voulais plus! Mais je comprends que c'est le
moyen qu'il a trouvé pour fuir ses problèmes, et que c'est ce filon que
l'auteur a choisi d'explorer.
Malgré ces quelques réserves, j'ai beaucoup aimé ce livre (prix
Goncourt 2005) pour les émotions et les réflexions qu'il a suscitées, ainsi
que pour l'originalité du «dédoublement» des François! L'histoire est
apparemment autobiographique puisqu'il semblerait que la maison d'édition
Grasset avait payé le livre d'avance et annonçait la sortie du roman à
chaque rentrée depuis l'an 2000! François Weyergans est également l'auteur
du très beau roman Franz et François (Grand Prix de la langue
française 1997), qui met en scène sa relation avec son père, écrivain lui
aussi. Il a écrit 11 livres seulement en 30 ans et a une réputation de
procrastinateur, régulièrement embêté par le fisc. Les thèmes récurrents de
ses livres sont la psychanalyse, l'art, son rapport aux femmes et à
l'écriture.
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