«Une langue seconde ne s'apprend pas uniquement à l'école»
— Lynn Thomas
ROBIN RENAUD
La qualité de l'enseignement de l'anglais dans les écoles du Québec est
sur la sellette depuis quelques semaines. Un récent reportage de l'émission
Enjeux présenté à la télévision de Radio-Canada faisait état d'un
certain nombre de lacunes : différents intervenants y dénonçaient notamment
la formation inégale chez les maîtres, la présence d'enseignants qui ne
maîtrisent pas la langue et un nombre d'heures d'enseignement insuffisant
pour permettre aux élèves d'atteindre un niveau adéquat de compétence
linguistique au terme de leur secondaire. En marge d'un colloque sur
l'enseignement de l'anglais langue seconde qui se déroulait à la Faculté
d'éducation le 27 janvier, nous avons demandé à la professeure Lynn Thomas,
responsable du baccalauréat en enseignement de l'anglais langue seconde à la
Faculté d'éducation, de commenter le constat dressé par l'équipe d'Enjeux.
Liaison : Est-ce que le nombre d'heures consacrées à l'enseignement de
l'anglais dans les écoles québécoises est suffisant pour que les jeunes
apprennent réellement la langue?
Lynn Thomas : Évidemment, les élèves ont toute une série de cours
à suivre et l'anglais n'est pas la seule matière. On ne peut jamais avoir un
nombre d'heures suffisant à l'école pour apprendre une langue seconde. En
revanche, il faut comprendre que l'apprentissage de l'anglais ne doit pas se
faire uniquement en classe. Il faut que les jeunes puissent aussi apprendre
l'anglais dans d'autres situations qu'à l'école, une chose possible au
Québec. Donc, je ne crois pas que la solution réside uniquement dans le fait
d'augmenter le nombre d'heures de cours d'anglais.
Liaison : Éventuellement, les élèves de première année devront suivre
entre une demi-heure et une heure de cours d'anglais par semaine. Cela
paraît bien peu…
L.T. : Peut-être, mais il faut comprendre que les jeunes de
première année sont à un âge où ils sont moins réticents à s'exprimer en
anglais. Plus l'apprentissage débute tard – à l'adolescence par exemple –
plus l'enfant va être gêné de converser par crainte de commettre des
erreurs. En première année, les élèves seront amenés à se faire l'oreille,
en apprenant par exemple des chansons et des comptines en anglais, créant
une habitude d'apprentissage qui pourra être très utile plus tard.
Liaison : Quelles solutions prônez-vous pour améliorer l'apprentissage
de l'anglais dans les écoles du Québec?
L.T. : D'abord, je propose qu'en classe, les enseignants et les
élèves ne parlent que l'anglais. Ensuite, il faut absolument que les
enseignants s'assurent de garder un bon niveau de maîtrise de la langue
eux-mêmes. Je n'ai rien contre le fait que l'anglais soit enseigné par les
francophones au Québec, mais il faut que les enseignantes et enseignants
s'assurent de chercher des formations qui les amènent à parler couramment et
régulièrement la langue, afin d'ensuite en faire profiter leurs élèves. On
ne peut pas apprendre une langue uniquement à l'école… Il faut que
l'enseignant transmette le goût à l'élève de participer lui aussi à des
activités extérieures qui l'amèneront à converser en anglais et à améliorer
sa langue seconde. C'est possible lors de programmes d'échanges
linguistiques à l'étranger par exemple. (Voir notre autre texte en page 5).
Liaison : Pensez-vous que l'évaluation des enseignants qui est faite
dans les écoles est suffisante?
L.T. : La question est délicate, mais il faut admettre que
certains enseignants ne présentent pas une maîtrise suffisante de l'anglais.
Cependant, malgré le constat plutôt déprimant présenté par le reportage d'Enjeux,
il ne faut pas croire non plus que tout est noir dans le réseau de
l'éducation. Il y a de très bons enseignants dans le réseau; des gens qui
sont très engagés. Certains enfants réussissent très bien dans le système
scolaire tel qu'il est. Le problème, c'est que les résultats ne sont pas
égaux d'un milieu à l'autre. Certains élèves ont accès à des programmes
d'anglais qui vont vraiment les amener à apprendre la langue, alors que ce
n'est pas le cas pour tous. Il faut travailler très fort pour que l'ensemble
des élèves qui fréquentent l'école publique puissent avoir un niveau
d'anglais acceptable après neuf ans d'études.
Liaison : Pensez-vous que les Québécois sont réticents à faire plus de
place à l'enseignement de l'anglais à l'école?
L.T. : Certaines personnes disent qu'il ne faut pas augmenter le
nombre d'heures d'enseignement de l'anglais parce que ça risque de nuire à
l'apprentissage du français. Plusieurs parents estiment que leurs enfants
doivent d'abord apprendre à maîtriser le français avant d'apprendre une
autre langue. Cette question est très politique dans le contexte québécois.
Par contre, de plus en plus de parents souhaitent que leur enfant maîtrise
l'anglais. Est-ce que cette tendance augmente? Je n'en sais rien. Moi, ce
que je souhaite, c'est que les gens réalisent que l'apprentissage d'une
langue seconde n'entrave pas l'apprentissage de la langue maternelle, pas
plus que ça ne compromet ses racines ou son identité culturelle. En fait,
c'est avant tout un outil pour communiquer avec les gens. L'enseignement de
l'anglais ne doit pas être vu comme une menace d'assimilation. Au contraire,
des études démontrent que les gens qui maîtrisent plusieurs langues
développent un attachement plus grand à leur langue maternelle. Je crois que
cette réalité est très mal comprise actuellement.
Un colloque visant à promouvoir l'enseignement de l'anglais
Une centaine d'étudiantes et d'étudiants provenant de l'Université de
Sherbrooke et de l'Université Bishop's ainsi que plusieurs enseignantes et
enseignants de la région prenaient part à un colloque de la Société pour la
promotion de l'enseignement de l'anglais, langue seconde au Québec (SPEAQ),
le 27 janvier, à la Faculté d'éducation.
Visant à promouvoir l'enseignement de l'anglais langue seconde, le
mini-colloque SPEAQ-CAMPUS se déroule annuellement dans différentes
universités au Québec. Organisé par et pour les étudiants, cet événement
permet à des enseignantes et enseignants du réseau de l'éducation de
transmettre leur expertise et de donner aux étudiantes et étudiants les
outils nécessaires en vue de la préparation de leur future carrière.
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