Liaison, 8 décembre 2005
Colloque international du groupe de recherche SODRUS
Les immigrants d'aujourd'hui : à cheval sur deux pays
Stéphanie
Raymond
Le groupe de recherche Société, droit et religions de l'Université de
Sherbrooke (SODRUS) a tenu les 24 et 25 novembre son 2e colloque
international, Migration, identité et construction normative :
l'émergence d'une identité transnationale. Le but était de discuter
des enjeux que présente la transnationalité des nouveaux arrivants au
pays, qui gardent de plus en plus un lien fort avec le pays d'origine.
En raison des moyens de communication modernes, les immigrants vivent
aujourd'hui en contact quotidien avec leur pays natal. De plus, ils
peuvent généralement compter sur une présence internationale et
transnationale beaucoup plus forte et organisée de leur pays d'origine.
Ainsi, les nouveaux arrivants vivent en situation de transnationalité.
Pour le pays hôte, cette réalité s'avère d'une grande richesse, mais
comporte en revanche un certain nombre de défis de taille, avec en premier
lieu celui de l'intégration sociale.
Les 13 conférences étaient offertes par des professeurs provenant de
plusieurs universités du Canada et de l'Amérique du Sud. De l'Université
de Sherbrooke ont participé les professeurs Claude Gélinas et Pierre Noël,
de la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie, Sébastien
Lebel-Grenier, de la Faculté de droit, et Michèle Vatz-Laaroussi, de la
Faculté des lettres et sciences humaines. Philippe Thibault, étudiant de
cycle supérieur en droit, a également présenté une conférence.
L'enjeu de la double identité des immigrants
Demande d'instauration d'un tribunal islamique et de salles de prière
dans les écoles, port du kirpan, nombreuses sont les demandes des groupes
culturels minoritaires au Canada et ailleurs. Pourquoi? Selon Myriam
Jézéquiel, professeure à l'Université de Montréal, cela constitue une
réaction normale d'affirmation et de désir de visibilité face à la
stigmatisation du groupe culturel. Et cette affirmation passe par la
politique et la religion. Car la stigmatisation affecte l'identité
personnelle, ce qui provoque un plus grand sentiment d'appartenance des
individus au groupe stigmatisé.
La cohésion des groupes culturels est d'autant plus grande que la perte
des références culturelles traditionnelles peut entraîner un ébranlement
pouvant aller jusqu'à la dépression et aux troubles de l'identité.
Pourtant, cette rupture partielle est nécessaire à l'évolution de
l'identité selon la chercheuse, pour la formation d'une nouvelle identité
qui évite le rejet de l'autre.
La stratégie que l'État doit adopter face aux revendications de
différents groupes culturels est l'instauration de mécanismes
institutionnels, affirme Myriam Jézéquiel. L'interculturalisme québécois
doit permettre de maintenir les références de la culture d'origine jusqu'à
un certain point, tout en favorisant l'intégration des valeurs
québécoises. Le repli de chacun des groupes est à éviter.
Et quelle est la stratégie à adopter par les familles immigrantes? Bien
souvent, la religion sert de moyen pour contrecarrer les risques de
désagrégation familiale. Mais les groupes culturels ne doivent pas se
fermer complètement sur eux-mêmes, en créant par exemple leurs propres
écoles. Car la création de systèmes parallèles mène à une plus grande
exclusion sociale, et la résistance aux valeurs de la société d'accueil
peut conduire à des troubles de l'identité chez les individus.
L'impact de la transnationalité sur les pays d'origine
Si les valeurs du pays d'origine influencent les membres d'un groupe
culturel donné dans leur pays d'accueil, l'inverse est aussi vrai, a
expliqué Michèle Vatz-Laaroussi, professeure au Département de service
social. Ainsi, les réseaux transnationaux établis par les immigrants au
Québec et au Canada ont un impact sur les dynamiques sociales des pays
d'où proviennent les membres de ces réseaux. Cela passe surtout par
l'investissement matériel dans le développement du pays d'origine. En
Colombie par exemple, 58 % du produit intérieur brut provient de
transferts d'argent de Colombiens vivant dans d'autres pays.
Des changements sont même provoqués au sein des dynamiques sociales :
l'autorité parentale et les relations homme-femme s'occidentalisent, on
envisage plus facilement des mariages hors groupes ethniques, etc. Au
niveau macrosocial, les lois peuvent même être changées. Par exemple, le
code de la famille au Maroc n'est plus géré par la Sharia depuis 2003,
mais par un code plus moderne en raison de pressions de groupes
d'immigrants marocains vivant dans d'autres pays.
Les États et les immigrants devront donc trouver des moyens de
s'enrichir mutuellement plutôt que de se replier sur eux-mêmes.
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