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Liaison, 8 décembre 2005

 

 

 


L'essentiel, et des testicules d'agneau grillés

PIERRE-OLIVER CÔTÉ, JEAN-PHILIPPE LANDRY, JONATHAN MÉNARD
Écologie sans frontières, Argentine 2005

Je me réveille en sursaut au chant du coq, il est 6 h 15. Un peu plus tard qu'hier. Leventate! Leventate! Quoi? Je réponds en français, encore dans les bras de Morphée. Où suis-je? Ah oui... Argentine... le campo... Si ya estoy listo! Je suis prêt. Je sors de la maison, rustique mais suffisante. Le soleil est là, bien orangé, et la chaleur des rayons se fait déjà sentir dans la fraîcheur de l'aube. Walter, le père de la famille, me dit de faire comme chez moi. Il me montre le pain maison, le dulce de leche maison, le beurre maison et le maté sur la table. J'aurai donc le bonheur de boire un maté amargo et non très sucré comme on le boit habituellement dans cette famille.

Walter doit aller chercher les vaches pour les traire avec sa femme. Je m'assieds donc au beau milieu d'une maison étrange. En fait l'étrange ici, c'est moi, moi qui me suis précipité dans une famille humble, comme ils disent ici, et si accueillante. Je m'y sens comme un cousin, un frère même. Je mange seul et je parcours les recoins de ma pensée. J'analyse la situation vue de l'intérieur de la maison, par la fenêtre. Comme si je regardais une pellicule couleur, cadre par cadre. Un vieux film selon nos standards. Les poules, les coqs, les vaches, les moutons : tout s'active. Et je suis témoin de tout ça. Témoin pensif. Walter revient du champ à cheval derrière ses sept vaches laitières. Je finis mon maté et je vais m'entretenir avec eux pendant qu'ils font la traite. J'ai même le loisir de traire un gros deux litres de lait... pas si facile que ça.  Pendant ce temps, on jase de tout et de rien et on rit... surtout de moi qui a du lait partout!

Je me remets à écrire alors qu'on revient dans la maison. On m'offre d'autre maté. Je suis au beau milieu d'une scène classique à travers le monde. Une petite fille, son père et sa mère… une belle famille. Ils parlent, j'écris. Je suis touché par la simplicité du moment. Ils me demandent ce que j'écris et je leur dis tout simplement que je les trouve beaux. Qu'ils ont l'air heureux et que je les trouve chanceux d'avoir une belle famille comme la leur. Deux pays, deux cultures, mêmes valeurs fondamentales. Ils ne sont pas riches, mais ils ont plein de temps en famille. Une autre richesse... une richesse gratuite!

Voilà le dîner, qui se traduit par le repas le plus copieux du jour, car on doit bien manger pour travailler toute une journée à l'extérieur. Fidèle à la tradition argentine, la famille m'offre de me joindre au typique asado, viande cuite tendrement sur la braise, un délice! C'est vraiment un plaisir que de partager ce moment spécial pour moi, avec une famille si chaleureuse. C'est aussi un honneur pour eux de m'offrir le peu qu'ils ont et qui semble pour moi l'essentiel de ce que tout être humain devrait vouloir, une famille pleine d'amour, une terre fertile, une vie tranquille, et des testicules d'agneau grillés! C'est lorsque je me retrouve dans ce lieu imprégné de plénitude, si loin des grandes villes polluées, que je réalise la beauté de la nature. Celle-ci est prête à donner sans recevoir à quiconque sait en prendre soin. Après ce festin, je suis complètement rassasié et avant de continuer à travailler, pas d'autres solutions que de faire la siesta. Sinon je vais m'effondrer sous la chaleur accablante du soleil argentin, qui vous transforme en tranche de bacon calcinée en moins de deux.

Deux heures plus tard, je mets la main à la pâte et j'entreprends de faire de la cuisine avec l'homme de la maison. Eh oui, il y a des hommes ici qui savent cuisiner mieux que n'importe qui. À mon grand bonheur, moi qui suis amant de la cuisine, j'entreprends l'élaboration des meilleurs empanadas au lapin qu'on puisse manger dans le campo. Tout ceci s'effectue autour du maté de 16 h, en répondant aux nombreuses questions qui défilent d'un sens et de l'autre. C'est incroyable de voir l'intérêt que porte cet homme à connaître un jeune Québécois comme moi, qui ne semble rien avoir à lui apporter. Les discussions s'enchaînent et vont beaucoup plus loin que la pluie et le beau temps. Lorsqu'il me demande comment un Canadien du bout du monde décide de venir le rencontrer dans sa maison, je réalise l'ampleur de la situation. C'est difficile pour lui de comprendre quels sont les motifs pour s'exiler si loin, dans une vie qu'il qualifie de pauvreté, alors que c'est ici que je retrouve le vrai sens du mot vivre.

Toujours dans l'incertitude du déroulement de ma soirée, nous venons de terminer le deuxième train. Il est 18 h 30, il reste encore trois heures avant la cena, le souper. Les heures passées à parler dans cette merveilleuse langue qui est devenue la mienne depuis trois mois commencent à se ressentir dans mes paupières. La concentration pour comprendre ma famille et me faire comprendre me quitte. C'est alors que la petite puce qui m'aime depuis trois jours comme son frère vient me tirer de mes pensées. Elle me prend la main pour m'entraîner vers l'inconnu. Devant moi se dresse une masse où le rose et le bleu se mélangent, transpercés de jaune et de rouge. C'est le soleil qui se fatigue lui aussi de sa journée. L'air pur m'envahit et un frisson traverse mon corps, je suis en Argentine. C'est dans ces moments que je réalise toute la chance que j'ai d'être ici. Une voix nous appelle, le guiso et les empanadas, autres mets typiques du campo, sont servis. Nous passons ces heures à parler de nos deux pays, moi du Québec et eux de l'Argentine. Le temps a passé, il est 1 h 30 du matin, le père de famille et moi luttons contre le sommeil, mais ni l'un ni l'autre ne cède, je pars demain et ces minutes sont très précieuses.

La personne qui vous écrit n'est pas une, mais bien neuf personnes qui ont vécu une expérience difficile, mais ô combien belle et enrichissante! Tant pour nous que pour les gens qui nous ont partagé leur vie, la séparation est émouvante. C'est en voyant les larmes versées lors de notre départ que nous comprenons enfin l'impact que nous avons dans la vie de ces gens et la raison de notre présence ici. Le Programa Social Agropecuario et la Facultad de Ciencias Agropecuarias nous ont permis de visiter ces gens et de vivre ces expériences. En terminant, un merci très spécial à deux professeurs de l'Université de Sherbrooke, Colette Ansseau et André Nuyt, qui nous ont donné l'opportunité de vivre cette aventure merveilleuse. L'Argentine est gravée dans nos coeurs à tout jamais : ¡Hasta Siempre!

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