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L'essentiel, et des testicules d'agneau grillés
PIERRE-OLIVER CÔTÉ, JEAN-PHILIPPE LANDRY, JONATHAN MÉNARD
Écologie sans frontières, Argentine 2005
Je me réveille en sursaut au chant du coq, il est 6 h 15. Un peu plus
tard qu'hier. Leventate! Leventate! Quoi? Je réponds en
français, encore dans les bras de Morphée. Où suis-je? Ah oui...
Argentine... le campo... Si ya estoy listo! Je suis prêt. Je
sors de la maison, rustique mais suffisante. Le soleil est là, bien orangé,
et la chaleur des rayons se fait déjà sentir dans la fraîcheur de l'aube.
Walter, le père de la famille, me dit de faire comme chez moi. Il me montre
le pain maison, le dulce de leche maison, le beurre maison et le maté
sur la table. J'aurai donc le bonheur de boire un maté amargo et non
très sucré comme on le boit habituellement dans cette famille.
Walter doit aller chercher les vaches pour les traire avec sa femme. Je
m'assieds donc au beau milieu d'une maison étrange. En fait l'étrange ici,
c'est moi, moi qui me suis précipité dans une famille humble, comme ils
disent ici, et si accueillante. Je m'y sens comme un cousin, un frère même.
Je mange seul et je parcours les recoins de ma pensée. J'analyse la
situation vue de l'intérieur de la maison, par la fenêtre. Comme si je
regardais une pellicule couleur, cadre par cadre. Un vieux film selon nos
standards. Les poules, les coqs, les vaches, les moutons : tout s'active. Et
je suis témoin de tout ça. Témoin pensif. Walter revient du champ à cheval
derrière ses sept vaches laitières. Je finis mon maté et je vais
m'entretenir avec eux pendant qu'ils font la traite. J'ai même le loisir de
traire un gros deux litres de lait... pas si facile que ça. Pendant ce
temps, on jase de tout et de rien et on rit... surtout de moi qui a du lait
partout!
Je me remets à écrire alors qu'on revient dans la maison. On m'offre
d'autre maté. Je suis au beau milieu d'une scène classique à travers le
monde. Une petite fille, son père et sa mère… une belle famille. Ils
parlent, j'écris. Je suis touché par la simplicité du moment. Ils me
demandent ce que j'écris et je leur dis tout simplement que je les trouve
beaux. Qu'ils ont l'air heureux et que je les trouve chanceux d'avoir une
belle famille comme la leur. Deux pays, deux cultures, mêmes valeurs
fondamentales. Ils ne sont pas riches, mais ils ont plein de temps en
famille. Une autre richesse... une richesse gratuite!
Voilà le dîner, qui se traduit par le repas le plus copieux du jour, car
on doit bien manger pour travailler toute une journée à l'extérieur. Fidèle
à la tradition argentine, la famille m'offre de me joindre au typique
asado, viande cuite tendrement sur la braise, un délice! C'est vraiment
un plaisir que de partager ce moment spécial pour moi, avec une famille si
chaleureuse. C'est aussi un honneur pour eux de m'offrir le peu qu'ils ont
et qui semble pour moi l'essentiel de ce que tout être humain devrait
vouloir, une famille pleine d'amour, une terre fertile, une vie tranquille,
et des testicules d'agneau grillés! C'est lorsque je me retrouve dans ce
lieu imprégné de plénitude, si loin des grandes villes polluées, que je
réalise la beauté de la nature. Celle-ci est prête à donner sans recevoir à
quiconque sait en prendre soin. Après ce festin, je suis complètement
rassasié et avant de continuer à travailler, pas d'autres solutions que de
faire la siesta. Sinon je vais m'effondrer sous la chaleur accablante
du soleil argentin, qui vous transforme en tranche de bacon calcinée en
moins de deux.
Deux heures plus tard, je mets la main à la pâte et j'entreprends de
faire de la cuisine avec l'homme de la maison. Eh oui, il y a des hommes ici
qui savent cuisiner mieux que n'importe qui. À mon grand bonheur, moi qui
suis amant de la cuisine, j'entreprends l'élaboration des meilleurs
empanadas au lapin qu'on puisse manger dans le campo. Tout ceci
s'effectue autour du maté de 16 h, en répondant aux nombreuses questions qui
défilent d'un sens et de l'autre. C'est incroyable de voir l'intérêt que
porte cet homme à connaître un jeune Québécois comme moi, qui ne semble rien
avoir à lui apporter. Les discussions s'enchaînent et vont beaucoup plus
loin que la pluie et le beau temps. Lorsqu'il me demande comment un Canadien
du bout du monde décide de venir le rencontrer dans sa maison, je réalise
l'ampleur de la situation. C'est difficile pour lui de comprendre quels sont
les motifs pour s'exiler si loin, dans une vie qu'il qualifie de pauvreté,
alors que c'est ici que je retrouve le vrai sens du mot vivre.
Toujours dans l'incertitude du déroulement de ma soirée, nous venons de
terminer le deuxième train. Il est 18 h 30, il reste encore trois heures
avant la cena, le souper. Les heures passées à parler dans cette
merveilleuse langue qui est devenue la mienne depuis trois mois commencent à
se ressentir dans mes paupières. La concentration pour comprendre ma famille
et me faire comprendre me quitte. C'est alors que la petite puce qui m'aime
depuis trois jours comme son frère vient me tirer de mes pensées. Elle me
prend la main pour m'entraîner vers l'inconnu. Devant moi se dresse une
masse où le rose et le bleu se mélangent, transpercés de jaune et de rouge.
C'est le soleil qui se fatigue lui aussi de sa journée. L'air pur m'envahit
et un frisson traverse mon corps, je suis en Argentine. C'est dans ces
moments que je réalise toute la chance que j'ai d'être ici. Une voix nous
appelle, le guiso et les empanadas, autres mets typiques du
campo, sont servis. Nous passons ces heures à parler de nos deux pays,
moi du Québec et eux de l'Argentine. Le temps a passé, il est 1 h 30 du
matin, le père de famille et moi luttons contre le sommeil, mais ni l'un ni
l'autre ne cède, je pars demain et ces minutes sont très précieuses.
La personne qui vous écrit n'est pas une, mais bien neuf personnes qui
ont vécu une expérience difficile, mais ô combien belle et enrichissante!
Tant pour nous que pour les gens qui nous ont partagé leur vie, la
séparation est émouvante. C'est en voyant les larmes versées lors de notre
départ que nous comprenons enfin l'impact que nous avons dans la vie de ces
gens et la raison de notre présence ici. Le Programa Social Agropecuario et
la Facultad de Ciencias Agropecuarias nous ont permis de visiter ces gens et
de vivre ces expériences. En terminant, un merci très spécial à deux
professeurs de l'Université de Sherbrooke, Colette Ansseau et André Nuyt,
qui nous ont donné l'opportunité de vivre cette aventure merveilleuse.
L'Argentine est gravée dans nos coeurs à tout jamais : ¡Hasta Siempre!
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