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Liaison, 10 novembre 2005
Vivre dans sa bulle : une balloune à péter?
Psychologue invité : MICHEL ROY
Sortir de sa bulle. Entrer en soi-même. Penser aux autres. S'occuper de
soi… Mais quelle attitude adopter? Où se trouve l'équilibre? Bienvenue
dans ce monde moderne peuplé de dilemmes et de choix cornéliens à faire
quotidiennement. Aujourd'hui, nous serons confrontés à cette tension
critique entre l'individualisme, porteur d'épanouissement, et l'ouverture
aux autres, porteuse de sens.
Tous ensemble pour l'individu
Notre ère moderne a été marquée par la conquête de l'individualité, la
primauté de l'individu et de son épanouissement sur une conception de
l'homme considéré comme une masse indifférenciée et négligeable. Cette
conquête constitue une avancée remarquable pour l'humanité et a contribué
à asseoir les droits individuels et à promouvoir l'actualisation du
potentiel humain. La psychologie a été et est toujours une manifestation
et un moteur important de cette révolution. Une de ses applications, la
relation d'aide, a pour fonction de supporter une démarche intérieure,
hautement personnelle, visant à approfondir la connaissance et la
compréhension de soi-même, dans le but de favoriser son actualisation ou
de résoudre des problèmes personnels. En caricaturant, on pourrait dire
que la psychologie fait l'apologie de l'individualisme (mes émotions, mes
besoins, mes choix, mes relations, mon épanouissement).
Individualisme à tout crin? Non
Comme chaque médaille a son revers, le développement de son
individualité peut mener à des excès. On assiste, par exemple, à une forme
de narcissisme exacerbé, moussé par la publicité et les médias, qui trouve
son expression dans le star system et la création de vedettes
instantanées. Le triomphe de l'individualité a pris la forme, pour bien
des gens, de la célébrité, de leur 15 minutes de gloire. «Je ne suis
quelqu'un que si j'existe pour les autres, que si je suis reconnu par les
autres.» On assiste alors à des dérives telles que les téléréalités.
L'individualisme ambiant peut avoir un autre effet pervers, celui de nous
enfermer dans un cocon confortable, à l'abri des secousses et des
désagréments extérieurs. C'est l'ère du cocooning, de la recherche
d'un confort tout personnel, de plaisirs individuels, de petits bonheurs à
soi qui, peu à peu, mènent à l'étiolement de son lien au monde,
contribuant ainsi à la perte de sens, à l'évanescence de ce qui transcende
la personne, qu'on pourrait appeler conscience sociale, valeurs morales ou
valeurs citoyennes, pour prendre un mot à la mode. Comme le dit Charles
Taylor, philosophe : «La face sombre de l'individualisme tient à un
repliement sur soi qui aplatit nos vies, qui en appauvrit le sens et nous
éloigne du souci des autres et de la société.»1
Pour la suite du monde…
Pourtant nous vivons dans un monde où la planète est notre village, où
nos gestes, nos choix, ont un impact, à différents égards, sur la planète
entière. Notre tendance à l'individualité est donc de plus en plus
confrontée aux appels à une forme de transcendance (préoccupation de
l'autre, malade ou pauvre, préoccupation de l'environnement…). Est-il
possible d'assurer la primauté de l'individu tout en participant à quelque
oeuvre qui dépasse sa personne, embrasse l'altérité? Dans l'échelle des
besoins de la personne, une fois satisfaits les besoins physiques et
affectifs ainsi que les besoins d'estime, de reconnaissance personnelle,
la personne se met à la tâche de satisfaire ses besoins d'accomplissement.
L'actualisation du besoin de produire, d'accomplir quelque chose constitue
l'apogée, si je puis dire, du développement personnel. Il consistera donc
à utiliser ses ressources pour l'accomplissement de réalisations au
bénéfice des autres par le travail, le bénévolat, la création,
l'engagement social.
Poursuivre son développement personnel, s'actualiser n'aura de sens que
si cette démarche débouche sur une action envers l'environnement humain et
physique. Se conforter dans son cocon individuel ne peut mener qu'à
l'assèchement, à un sentiment de vide intérieur… trop souvent compensé par
la recherche de sensations fortes, pour ne pas dire extrêmes, dans
l'espoir de ressentir un tant soit peu, quelque chose. Vous voulez
vraiment pratiquer un sport extrême? Réalisez-vous dans, avec et pour le
monde!
- Charles Taylor, Grandeur et misère de la modernité,
Bellarmin, 1992, 150 p.
En collaboration avec le
Service de psychologie et d'orientation.
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