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Liaison, 10 novembre 2005
Comité sur la situation des espèces en péril
du Canada
Les poissons sont sans protection
SOPHIE PAYEUR
Aucune espèce de poisson désignée «en voie de disparition» après l'entrée
en vigueur de la Loi sur les espèces en péril n'a accédé à la liste légale
des espèces en péril. Conséquence : aucune d'entre elles ne bénéficie de
mesures de protection.
«Depuis 2003, nous avons désigné 11 espèces de poissons comme étant en
voie de disparition, explique le biologiste Marco Festa-Bianchet, qui
préside le Comité sur la situation des espèces en péril du Canada (COSEPAC).
Nous avons aussi identifié 13 autres espèces comme étant menacées.
Contrairement à la grande majorité des espèces que le COSEPAC évalue et juge
en péril, le gouvernement du Canada n'a encore fourni aucune réponse ni
décrété de statut légal à ces espèces de poissons.»
En vigueur depuis juin 2003, la Loi sur les espèces en péril (LEP) du
Canada vise à empêcher la disparition d'espèces animales ou végétales
hautement menacées. Pour établir la liste officielle des espèces bénéficiant
de sa protection, la LEP se base sur les recommandations émises par les
scientifiques du COSEPAC. Créé en 1977, le COSEPAC devait d'abord constituer
des listes et des rapports pour répondre au besoin d'une classification
unique, officielle, scientifique et nationale des espèces sauvages en péril.
Mais depuis 2003, avec l'entrée en vigueur de la Loi sur les espèces en
péril, les évaluations et les statuts d'espèces désignés par le COSEPAC
acquièrent une valeur légale lorsqu'elles sont acceptées par le
gouvernement.
Le COSEPAC doit en effet communiquer ses évaluations au ministre
compétent, en l'occurrence le ministre des Pêches et Océans. À partir du
moment où le ministre dépose ces évaluations auprès du gouvernement, ce
dernier dispose de neuf mois pour faire des consultations et décider s'il
inscrit ou non l'espèce en question dans la liste officielle de la LEP.
«Mais tant que le ministre ne dépose pas la désignation, le processus est
bloqué et le sablier ne s'écoule pas!» indique le président du COSEPAC.
C'est ainsi que plusieurs espèces de poissons en voie de disparaître, dont
le statut est largement documenté, n'ont toujours pas de statut légal et ne
bénéficient d'aucune protection ni de plan de gestion.
«Les évaluations du COSEPAC interviennent lorsque le sort d'une espèce
est hautement critique, précise Marco Festa-Bianchet. On ne parle pas ici de
poissons en crise de gestion : on parle de poissons en voie de disparition!
La morue en est probablement un des plus beaux exemples.» En 2003, le
COSEPAC désignait la morue franche des eaux intérieures et extracôtières du
Labrador et du Nord-Est de Terre-Neuve comme étant en voie de disparition.
«Cette population connaît un déclin de 97 % depuis 1970, explique le
biologiste. Elle est maintenant à son niveau historique le plus bas, et ce
malgré les moratoires imposés en 1992 et 1993. La morue ne dispose d'aucune
protection de la Loi sur les espèces en péril, qui ne l'a toujours pas
incluse dans sa liste officielle.» Même si la pêche à la morue est interdite
dans l'Atlantique, aucun plan de gestion ou de réhabilitation n'est mis en
place à ce jour.
Certaines populations du saumon sockeye (saumon rouge) du Pacifique ainsi
que la raie tachetée et le chevalier cuivré sont d'autres espèces jugées en
voie de disparition par le COSEPAC et subissant le même sort. Pour Marco
Festa-Bianchet, le problème n'est pas difficile à identifier : «La pêche est
le principal problème. Il y a la pêche commerciale, mais il y a aussi la
pêche accessoire.» Ce type de pêche, qualifiée aussi d'«accidentelle», est
celle où les filets attrapent des espèces pour lesquelles ils n'ont pas de
quotas ou de permis. Ce type de prise est sujet aux abus, et peu d'efforts
ont été effectués jusqu'à maintenant pour enrayer ce problème. «Le
gouvernement privilégie les considérations économiques aux évaluations
scientifiques et rationnelles. Mais dans le contexte où rien n'est fait, le
résultat est le même, peu importe les valeurs empruntées : ces poissons sont
en train de disparaître. C'est inconcevable de penser qu'on va continuer à
faire des gains avec la morue.»
Marco Festa-Bianchet reconnaît que la problématique est
complexe et perturbe grandement les pêcheurs : «Interdire la pêche équivaut
à leur enlever leur gagne-pain.» Il pense néanmoins qu'un très grand nombre
de pêcheurs sont mal informés à propos de la Loi sur les espèces en péril et
qu'ils comprennent mal les enjeux de la protection. À la fin novembre, le
biologiste participera à une rencontre d'un comité responsable de
l'évaluation des espèces de poissons au COSEPAC. Lors de cette rencontre qui
se déroulera à Terre-Neuve, Marco Festa-Bianchet prévoit des échanges avec
des groupes de pêcheurs afin notamment de leur expliquer le rôle du COSEPAC.
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Le biologiste Marco Festa-Bianchet |