Le géomaticien à la rescousse de l'humain
SOPHIE PAYEUR
Passionné des sciences de la terre, Goze Bertin Bénié effectue ses
recherches aux quatre coins du globe. Les systèmes d'information
géographique qu'il a développés servent notamment à combattre les feux de
forêt ou à contrer les effets de la sécheresse dans les pays en voie de
développement. Le professeur au Département de géomatique appliquée emprunte
maintenant une avenue peu fréquentée par la géomatique : la santé humaine.
La géomatique regroupe les techniques et les outils informatiques qui
permettent de représenter, d'analyser et d'intégrer des données
géographiques. «C'est une puissante technologie pour analyser une situation
précise dans l'espace et dans le temps», souligne Goze Bertin Bénié. Après
avoir passé de nombreuses années à développer des systèmes d'information
géographiques appliqués à la gestion des ressources naturelles, ce
professeur veut maintenant faire valoir le potentiel de la géomatique en
santé publique : «On ne peut plus occulter les facteurs environnementaux des
problématiques de santé publique. Les situations sont de plus en plus
complexes et la géomatique fournit des méthodes d'analyse hautement
rationnelles. Je crois qu'elle peut jouer un rôle de premier plan dans les
décisions de santé publique.» Un phénomène particulier en Estrie lui offre
aujourd'hui l'occasion de mettre en branle l'un des plus ambitieux projets
de géomatique appliquée à la santé humaine au Québec.
Le projet Campylogis
Chaque année, on rapporte au Québec 3000 cas de diarrhées engendrées par
des bactéries. La cause principale de ces maladies est la bactérie
Campylobacter jejuni, qui niche dans la flore intestinale de plusieurs
animaux et oiseaux. Les campylobactérioses sont généralement causées par la
consommation de volaille mal cuite ou de fromage au lait cru. L'eau non
traitée ou mal traitée serait aussi un milieu propice pour Campylobacter
jejuni; la contamination de l'eau serait favorisée par les déjections
animales des exploitations agricoles. Or, Sophie Michaud et son équipe ont
détecté en 2001 deux fois plus de cas de campylobactériose dans la MRC
d'Asbestos que dans le reste de la grande région de l'Estrie. En effet, on
répertorie 113 cas de campylobactériose pour 100 000 habitants dans la MRC
d'Asbestos, alors qu'on trouve 63 cas pour l'ensemble de l'Estrie. La
moyenne pour l'ensemble du Québec est de 44 cas pour 100 000 habitants.
Alertés par la situation, les chercheuses et chercheurs veulent identifier
avec certitude les sources de Campylobacter jejuni et vérifier si les
souches de bactéries trouvées dans les cours d'eau ou les puits artésiens
sont les mêmes que celles prélevées chez les malades.
Pour ce faire, Sophie Michaud et son équipe ont réussi à amasser le
financement nécessaire à la réalisation d'un système d'information
géographique (SIG) voué à la surveillance de la bactérie. Unique en son
genre, le projet Campylogis implique la Régie régionale de la santé de
l'Estrie et regroupe une vaste équipe de médecins et de géographes. Pour
Goze Bertin Bénié, c'est l'occasion tout indiquée de démontrer le rôle
social de la géomatique.
«Le projet intégrera une foule de données environnementales et humaines
pour évaluer le risque d'infection relié à l'eau potable, explique Goze
Bertin Bénié. À terme, Campylogis va générer des cartes géographiques
illustrant les parcours empruntés par la bactérie via les humains, les
élevages, l'eau, l'environnement. Les décideurs en santé publique auront
accès à différentes couches d'information; c'est l'un des rares outils de
surveillance sanitaire au Québec qui prennent en compte autant d'éléments à
la fois.»
Plus concrètement, le projet Campylogis permettra de comparer les
variations des concentrations de bactéries trouvées dans les rivières et
leurs tributaires selon les saisons et les régions. Ces données seront par
la suite comparées aux cas d'infections humaines selon les mêmes variations,
saisonnières et régionales. Le système d'information géographique orientera
également les chercheuses et chercheurs vers les sources environnementales
de la bactérie (dans les fermes, par exemple) tout en associant ces sources
à la répartition géographique des rivières, de leurs tributaires et des eaux
de surface. En somme, le projet fera ressortir les endroits où les systèmes
publics de distribution de l'eau sont potentiellement contaminés et
permettra de tester l'hypothèse de la contamination de l'eau par les
déjections animales.
«Toutes les données géographiques, sociales et médicales susceptibles
d'éclairer la problématique seront intégrées au système d'information
géographique, dit Goze Bertin Bénié. Nous illustrerons l'état physique des
lieux en montrant où sont les fermes et en identifiant la nature et la
topographie des sols.» Quels sont les types d'exploitations agricoles
présentes dans la région étudiée et comment gère-t-on les résidus d'élevage?
Quelles sont les habitudes de la population en ce qui a trait à la gestion
et au traitement des eaux potables? Toutes ces informations seront mises en
perspective des aspects épidémiologiques de la maladie, également documentés
par les experts médicaux.
Le rôle des géomaticiens sera ensuite de développer un prototype de
système de surveillance qui intègre l'ensemble de ces données, de façon à
mettre en lumière l'influence réciproque des paramètres. «Campylogis n'est
pas un simple projet de géomatique médicale, souligne Goze Bertin Bénié.
C'est un véritable système de surveillance de santé publique dans l'espace
et dans le temps. Il pourra éventuellement être appliqué à d'autres régions
du Québec et être transposé à d'autres pathogènes aquatiques, tels que la
bactérie E. coli.»
Mobilisée par le projet Campylogis pour une durée de trois ans, l'équipe
de chercheurs émettra une série de recommandations à la Régie régionale de
la santé, qui prendra les mesures appropriées pour améliorer la qualité de
l'eau. L'équipe du projet Campylogis est pilotée par Sophie Michaud et
comprend les chercheurs en géomatique Goze Bertin Bénié et Ferdinand Bonn,
le biologiste moléculaire Eric Frosst, le directeur de l'Observatoire de
l'environnement Olivier Thomas ainsi que Suzanne Ménard, de la Régie
régionale de la santé de l'Estrie.
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