Les numéros
de Liaison

6 juillet 2006 (no 20)
15 juin 2006 (no 19)
25 mai 2006 (no 18)
4 mai 2006 (no 17)
13 avril 2006 (no 16)
23 mars 2006 (no 15)
9 mars 2006 (no 14)
23 février 2006 (no 13)
9 février 2006 (no 12)
26 janvier 2006 (no 11)
12 janvier 2006 (no 10)
8 décembre 2005 (no 9)
24 novembre 2005 (no 8)
10 novembre 2005 (no 7)
27 octobre 2005 (no 6)
>13 octobre 2005 (no 5)
29 septembre 2005 (no 4)
15 septembre 2005 (no 3)
1erseptembre 2005 (no 2)
18 août 2005 (no 1)

1993-1994 à 2004-2005

Les photos de l'année

Les photos 2004-2005

Calendrier des parutions 2006-2007

L'équipe des publications Liaison

Liaison-région
Liaison-recherche
Liaison-Longueuil
Liaison-médecine
Liaison-médias
Information sur Liaison
Pour nous joindre


 

 


 

Liaison, 13 octobre 2005

Nouveautés livres

Critique invitée : SOPHIE BARRETTE
Coordonnatrice à l'École en chantier, Faculté d'éducation

La salamandre, Jean-Christophe Rufin

L'écrivain et médecin sans frontières Jean-Christophe Rufin est connu pour ses fresques historiques nous projetant dans un monde énigmatique qui, s'il est parfois inquiétant, conserve toujours le soupçon rieur de l'improbable. Parmi celles-ci, L'Abyssin (1998), où nous suivons avec jubilation le Français Jean-Baptiste Poncet, ambassadeur du Negus, dans ses extraordinaires voyages au cœur de l'Afrique, et Sauver Ispahan, roman d'aventure plus qu'historique, qui nous entraîne dans une tourmente facétieuse en pleine Perse du XVIIIe siècle.

Avec La salamandre, Rufin signe maintenant un roman court, tiré d'un fait troublant raconté par un consul de ses amis, qui se déroule sur un territoire déjà visité avec Rouge Brésil (prix Goncourt 2001), où est raconté un épisode peu connu de l'histoire de France dans sa conquête du Brésil. Fait surprenant, l'histoire a lieu au temps présent et dans un registre absolument nouveau. Si La salamandre s'articule aussi autour du choc des civilisations cher à Rufin, il s'agit d'un choc vécu strictement dans l'intimité, celui d'une femme ordinaire qu'un voyage en Amérique du Sud va pousser à un spectaculaire revirement.

Catherine, cadre, 46 ans et célibataire, mène une vie terne et solitaire dans un gris Paris. Apparemment imperméable à tout bouleversement, son quotidien réglé au quart de tour se voit un jour dévié de ses rails par la contrainte de prendre ses congés payés. Dans le silence de son appartement, Catherine constate le flétrissement de sa vie de femme jamais éclose. Elle qui a toujours exécré les voyages décide de rendre visite à un couple d'amis installé au Brésil depuis peu.

Sous le choc de la lumière, de la chaleur et des parfums, Catherine se laisse séduire à travers le regard dévergondé de son amie Aude, qui la lance sur les marchés colorés et les plages humides de corps bronzés de Recife. Elle se laisse gagner peu à peu par les langueurs de cet autre univers où les femmes blanches, même peu belles et peu jeunes, deviennent des reines à conquérir par les plus beaux voyous brésiliens. Un coup de foudre avec un jeune gigolo marque l'entrée de la touriste vers un destin qu'on lui croyait inimaginable.

D'abord heureux de voir l'héroïne faire volte-face à son ancienne vie rangée et sèche, le lecteur s'inquiète ensuite de la facilité avec laquelle Catherine, démesurément aveuglée par une passion amoureuse, plonge dans le Brésil sans scrupule des trafiquants, des bidonvilles et des crimes crapuleux. D'un rapport conscient où est convenu le strict pacte de l'argent contre le sexe et la tendresse, la relation de Catherine avec le gredin brésilien dérive vers l'humiliation et la domination. Et pourtant, plus elle fréquente la petite racaille qui gravite autour de son amant, plus Catherine se sent habiter la vie et ce, à travers l'émergence d'une rancœur face à sa vie d'avant le Brésil : «Elle semblait revenue à cette première et lointaine époque de la vie où l'on peut encore rêver d'entrer tout armé dans la société, d'arracher au monde ce qu'il vous doit, de lui faire payer ses injures et toute son imperfection.»

Avec La salamandre, Jean-Christophe Rufin continue d'explorer le thème de la rencontre des civilisations, mais cette fois-ci à travers l'histoire troublante du destin d'une femme. Son grand talent de conteur jusqu'à maintenant révélé dans des épopées historiques se déploie ici d'une autre façon (sauf au chapitre 20, où l'on retrouve pendant un court moment ce lyrisme irrésistible que l'on connaît de Rufin). L'auteur prend le pari de se mettre dans la peau de cette femme qui, contre toute attente, bascule dans un univers paradoxal d'intolérables souffrances et de jouissances équivoques.

Rufin l'indique dès le départ, cette histoire vécue l'a troublé. Parvient-il à relever l'énorme défi qu'est celui de traduire cette complexe et obscure histoire d'une femme à partir d'un point de vue masculin? Lectrice que je suis, je dois admettre qu'un doute a teinté ma lecture tant que l'auteur a parlé au nom de Catherine. Comme s'il ne réussissait pas à convaincre complètement d'adhérer à sa vision intimiste d'un intérieur de femme si totalement vulnérable. Le revirement psychologique de Catherine est déconcertant au point d'être à la limite du crédible. À moins que ce soit simplement le refus de croire qu'on puisse aller si loin dans l'abnégation de soi, dans l'adoration de son bourreau et ce, jusqu'à effleurer la mort. Dans La salamandre, Jean-Christophe Rufin relate avec courage et tact, et avec sa propre sensibilité, une incroyable histoire de descente aux enfers.

En collaboration avec :

Retour à la une

 

LIAISON est une
publication de
l'Université
de Sherbrooke

 

Éditeur :
Charles Vincent

Local F1-113,
Pavillon J.-S.-Bourque

(819) 821-7388

Liaison@USherbrooke.ca