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Liaison, 29 septembre 2005
Norbourg : quelles leçons en tirer?
CATHERINE LABRECQUE
Quelques semaines après que l'enquête concernant un détournement de fonds
de la firme Norbourg gestion d'actifs ait été rendue publique, déjà des
répercussions apparaissent et des tendances se dessinent dans l'industrie
québécoise de la finance, particulièrement des fonds communs de placement.
Sans aucune certitude encore sur les auteurs de la fraude, le nombre
d'investisseurs floués et le montant manquant dans les actifs des fonds, des
leçons peuvent être tirées pour éviter et prévenir d'autres cas de fraude
financière, selon Jacques Préfontaine, professeur au Département de finance.
L'enquête menée par l'Autorité des marchés financiers montre à première
vue une disparité entre l'encours des fonds communs et les soldes des
comptes de fiducie. «Il s'agit vraisemblablement d'une fraude basée sur
l'appropriation des fonds et titres placés en fiducie», indique Jacques
Préfontaine. Parmi les dirigeants concernés se trouve le propriétaire de
Norbourg, Vincent Lacroix.
Dans l'enseignement
L'analyse de l'entreprise Norbourg et de son style de gouvernance
constitue une réelle source d'apprentissage pour tous les étudiants et
étudiantes en administration. À la Faculté d'administration, les cours de
finance abordent déjà l'importance du code de déontologie de la régie
d'entreprise. «Par exemple, en valeurs mobilières, le code d'éthique et de
déontologie du Chartered Financial Analyst (CFA) est le plus sévère au
monde, affirme Jacques Préfontaine. L'ensemble des politiques et processus
qui assurent l'intégrité d'une entreprise font partie du contenu des cours.
Il faudra vraisemblablement insister davantage sur la déontologie,
l'éthique, la gouvernance et les notions de régie d'entreprise.»
Le spécialiste en gestion des institutions financières souligne que la
transparence de Norbourg est douteuse. Il semble que la firme ne compte
qu'un propriétaire, aucun conseil d'administration, et qu'elle divulgue ses
états financiers d'une façon nébuleuse. «Le contrôle interne semble louche,
ce qui rend la tâche beaucoup plus compliquée pour la vérification externe,
explique Jacques Préfontaine. Seuls les hauts dirigeants de l'entreprise ont
accès aux états financiers; il s'agit peut-être d'une ou de deux personnes.
De plus, les rapports réglementaires et les états financiers déposés à
l'Autorité des marchés financiers étaient probablement faussés. Difficile de
croire que cette supposée fraude constitue l'œuvre d'une seule personne.»
Dans la façon d'investir
Dans le cas de Norbourg, les investisseurs risquent de ne pas retrouver
en tout ou en partie leur argent. «Si cette fraude avait eu lieu dans une
plus grande institution financière, comme Desjardins, les investisseurs
n'auraient pas perdu un sou, affirme le professeur. Les sociétés mères
auraient sans doute couvert le montant manquant afin de préserver la
confiance de leurs clients.» Ainsi, Jacques Préfontaine pense que les
investisseurs ne délaisseront pas les produits des fonds d'investissement,
mais qu'ils se rabattront sur les produits et services financiers par les
institutions financières mieux connues et perçues comme étant plus
sécuritaires, qui possèdent une gouvernance jugée plus saine. «Cette
tendance est déjà amorcée, confirme-t-il. Nous assisterons à une
consolidation dans l'industrie des petites et grosses firmes de fonds
communs. Les plus grandes institutions, comme les banques et les sociétés
d'assurance-vie, sortiront possiblement gagnantes dans cette affaire.»
Dans la réglementation
Le 25 août, lorsque tous les comptes et les activités de Norbourg ont été
gelés, l'entreprise a aussitôt perdu toute crédibilité : «L'Autorité des
marchés financiers savait qu'au moment où elle accusait Norbourg, elle
ruinait l'entreprise, peu importe si les allégations s'avèrent ou pas,
indique le professeur. L'entreprise a perdu immédiatement et irrévocablement
la confiance de ses investisseurs.» Somme toute, Jacques Préfontaine estime
que l'Autorité des marchés financiers a agi conformément à sa mission : «À
l'avenir, elle tirera certainement des leçons. Les Autorités canadiennes et
valeurs mobilières et l'Autorité des marchés financiers devront resserrer la
réglementation : exiger des rapports détaillés et plus fréquents combinés à
des inspections plus rigoureuses, surtout pour les plus petites firmes de
gestion des fonds d'investissement.»
Quand on lui demande si cette possible fraude constitue la plus grande de
l'histoire du Québec, Jacques Préfontaine assure qu'elle n'a rien de
comparable aux autres fraudes qu'a connues le Québec jusqu'à maintenant :
«Dans les années quatre-vingt, les Caisses d'entraide économique ont été
l'objet d'une enquête, qui a révélé des erreurs de gestion attribuées à
l'incompétence, et non à la malhonnêteté. L'erreur touchait la gestion du
risque des taux d'intérêt alors que la marge d'intérêt trop faible entre les
prêts et les dépôts avait provoqué un retrait massif des épargnes.»
La fraude présumée survenue chez Norbourg ressemble davantage aux
scandales financiers américains touchant Enron et World Com. Dans ces deux
cas, les dirigeants ont faussé les états financiers. «Il s'agit de fraude
dans le sens où la rémunération des cadres supérieurs est attribuée, du
moins en partie, en fonction des revenus nets réalisés par l'entreprise»,
conclut Jacques Préfontaine.
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Jacques Préfontaine
Photo SSF : Jacques Beauchesne |