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Liaison, 18 août 2005

Nouveauté livre

Critique invité : JEAN-PHILIPPE MARTEL
Chargé de cours en littérature 

Ainsi font-elles toutes, Clara Ness

«Tu as lu ça? C'est le dernier truc de littérature féminine. Encore. De la Jeune-Fille à l'état brut. Chaque fois, c'est la même chose : elles mêlent leurs souvenirs personnels à l'Histoire. Incapables de se contenter d'une fiction. On croirait lire leurs journaux intimes, c'est d'un ennui…» Cette tirade, prononcée par l'un des personnages d'Ainsi font-elles toutes, pourrait sans doute s'appliquer au roman dont elle est tirée, si ce n'était de sa dernière proposition. Car dans le monde que met en scène Clara Ness, il est question de tout, sauf de s'ennuyer.

Premier roman d'une auteure de 22 ans (Clara Ness est un pseudonyme), Ainsi font-elles toutes veut rendre un épisode dans la vie de la narratrice, circonscrit d'une part par la rencontre et, d'autre part, par la fin de ses accointances avec Agnès A., libraire libertine de son état. On aura déjà compris que ce livre est à inscrire dans une certaine tendance de la littérature contemporaine, qui ne s'embarrasse pas de morale et qui ne fait pas de la trame narrative son principal objet. Ainsi, bien qu'un critique du Devoir ait parlé d'«anti-Nelly Arcan» au sujet de son auteure, force est d'admettre une certaine parenté entre les œuvres des deux jeunes femmes, comme avec celles de Marie-Sissi Labrèche, par exemple. Augmentée d'une critique explicite de ses propres effets (ô inénarrables atouts du personnage libraire!), cette «autofiction» est doublée d'une réflexion sur l'existence, l'écriture et la musique entremêlées. Mais, ici, les commentaires sur la littérature, comme par ailleurs ceux sur la musique, ne sont jamais gratuits; ils se répondent l'un l'autre, et fondent peut-être, sur un autre plan, l'essentiel des motivations psychologiques des personnages – comme celles, narratives, de Clara Ness…

En effet, chacun des personnages de ce roman est mû par une urgence de vivre, de sentir et de jouir sans égale : poussées à leur extrémité logique, certaines de leurs assertions paraîtraient assurément douteuses, sinon carrément insoutenables. Nous pensons entre autres à cette revendication d'Agnès A., qui veut que les corps, appartenant à tous, «se doivent d'être disponibles chaque fois qu'un individu décide d'en jouir»… voilà qui ferait le bonheur de nombreux individus, (in?)justement privés du droit à la procréation... D'autres affirmations péremptoires émaillent le texte, qui seraient sujettes à caution. Toutefois, la perspective et l'approche choisies – toutes deux si personnelles – justifient ce type de remarques, plutôt de l'ordre de l'impression que de la conclusion raisonnée. En outre, celles-ci permettent une position ambivalente sur les choses et les gens. «Éloge et critique de la femme par une femme», Ainsi font-elles toutes met en scène des personnages changeants et contradictoires, épris d'absolu et de liberté, dont les impulsions et retournements forment les leitmotive structurels du récit, comme le feraient les motifs d'une pièce musicale.

Signe des temps, reflet de la désintégration des anciennes mœurs? L'héroïne de Clara Ness, étudiante en médecine, ne semble connaître d'autre limite que celle de n'en pas avoir – c'est un impératif épuisant. Elle réclame «la primauté de la volupté sur le dieu Logos», et s'autorise de cette logique pour entretenir deux relations : l'une avec Paul, musicien louangé à Berlin, et l'autre avec Luis, auteur célèbre à Paris… en plus de celle qu'elle nouera avec Agnès. Elle abhorre le Travail, et se déclare indifférente à l'ascension sociale. Of course. Elle dit un «gant» pour une débarbouillette, du «yaourt» pour du yogourt, lit des «bouquins», «dîne» à l'heure du souper (et probablement plus tard encore) et fait des «virées en scooter»… Signe des temps, image de la femme actuelle? Ces habitudes et usages, qui montrent bien l'adaptation – et donc l'évolution – d'un sujet moralement et financièrement «libre», reflètent aussi un profond vide existentiel, une faiblesse identitaire, qu'il s'agit absolument, et immédiatement, de combler. Et comme il est éloquent de constater vers quelles chimères se tournent les personnages!… Tableau d'un déséquilibre historique, social et psychologique, Ainsi font-elles toutes n'apporte pas de réponse, mais énonce les symptômes – gare au diagnostic!

Enfin, nous n'avons pas assez loué la maîtrise et la souplesse de style dont fait preuve Clara Ness dans ce livre. Si certains y ont reconnu l'influence de Philippe Sollers (encore faudrait-il savoir de quel Philippe Sollers parlons-nous), de nombreux autres emprunts et références peuvent être signalés : Casanova, Proust, Claudel, Céline, Dante, St-Augustin, Rimbaud, Nabokov… Ainsi font-elles toutes, en plus de révéler une auteure étonnamment mature et pleine de promesses, replace (après Aude, Christian Mistral…) la maison d'édition XYZ – et en particulier la collection «Les Romanichels» – parmi les toutes premières du Québec.

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