Liaison région, 20 avril 2006
Les acides gras : l'une des clés de l'évolution humaine
MARIE-PIER TREMBLAY
Stephen Cunnane travaille actuellement à l'Institut universitaire de
gériatrie de Sherbrooke. Professeur au Département de physiologie et
biophysique, service d'endocrinologie, il dirige l'une des chaires de
recherche du Canada. Dans son ouvrage Survival of the Fattest, il
propose une conception différente et originale de l'évolution du cerveau
humain. Il avance que l'évolution de la taille du cerveau des premiers
humains s'explique par l'adoption d'un régime alimentaire plus riche en
acides gras et en minéraux. Les bébés auraient particulièrement profité de
ces nutriments.
L'explication définitive au mystérieux développement du cerveau n'a pas
encore été trouvée et aucune théorie ne fait consensus chez les
anthropologues, évolutionnistes et scientifiques. Le professeur Stephen
Cunnane alimente cette controverse avec son approche originale de
l'accroissement de la taille du cerveau. Provenant d'un champ de
spécialité complètement différent, la physiologie, il a basé son approche
sur la recherche des contraintes métaboliques nécessaires à ce
développement.
Le cerveau humain est deux fois plus gros que celui de notre
prédécesseur, l'Homo habilis. Comment les scientifiques
expliquent-ils cette expansion massive? Quelles circonstances et quel
environnement ont contribué à cette croissance? Le langage, la fabrication
des outils, la bipédie, voilà des facteurs que les anthropologues et les
évolutionnistes ont longtemps associés et associent encore à l'évolution
du cerveau humain. Afin de subvenir à ses besoins, l'homme aurait, grâce
au processus d'adaptation, développé certaines capacités et ainsi permis à
son cerveau d'évoluer.
Étonnamment, la clé de cette évolution proviendrait plutôt du gras de
bébé. Stephen Cunnane explique que cette approche déconcertante est
pourtant logique. C'est en se déplaçant des forêts vers les rives que les
premiers hommes ont pu bénéficier d'une alimentation sûre, mais surtout,
riche en acide gras oméga-3 appelé le DHA, en iode, en zinc et en fer. Ce
sont tous des nutriments que l'on retrouve dans les aliments d'origine
aquatique ou riveraine. Les fossiles de poissons et de coquillages mangés
par nos ancêtres découverts sur plusieurs sites de recherche abondent dans
ce sens. Ce nouveau mode de vie plus sécuritaire a permis à nos ancêtres
d'accumuler des réserves de gras et de donner naissance à des enfants
ayant leur propre réserve d'énergie. C'est dans cette particularité propre
à l'homme que se trouve la solution, car ce gras de bébé présente une très
forte concentration de DHA, une substance constituante des membranes du
cerveau et nécessaire à son bon fonctionnement et à sa croissance. «Au
cours de la période finale de la croissance fœtale, ainsi qu'au cours des
cinq premières années de la vie, la présence de gras est un facteur
essentiel au développement optimal du cerveau humain», précise le
professeur Cunnane.
Ce n'est donc pas une sélection naturelle ayant avantagé les cerveaux
les plus gros qui a contribué à l'accroissement global de la taille du
cerveau humain, mais bien un régime alimentaire différent qui a favorisé
une expansion qui était déjà génétiquement possible, explique le
professeur.
Cette découverte risque d'être fort utile puisqu'elle offre au domaine
de la médecine des avenues inexplorées en ce qui a trait au développement
des fonctions cérébrales, aux maladies qui affectent le cerveau et aux
conséquences des carences alimentaires sur son développement.
«L'augmentation des maladies neurodégénératives est prévisible puisque
de nos jours, notre alimentation contient de moins en moins de ces
nutriments essentiels qui influencèrent l'évolution du cerveau humain.
Ainsi, peu importe sa croissance extraordinaire, notre cerveau humain
reste toujours vulnérable à ces carences nutritionnelles», de conclure
Stephen Cunnane.
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