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Pétards, mayas et chicken bus
Myriam Luce
J'ai toujours voulu voyager. Jusqu'à il n'y a pas si longtemps, c'était
seulement un projet, celui de partir un jour pour aller découvrir un autre
pays. Le fait que j'adore ma Côte-Nord natale et le reste de notre belle
province n'a jamais changé ce besoin que je ressentais de connaître la vie
dans d'autres parties du monde.
Cette chance m'est offerte en ce moment, doublée d'une autre chance qui
est celle de travailler en coopération internationale dans un pays en voie
de développement. Avec trois amis étudiant comme moi en écologie (Cédric
Frenette-Dussault, Karine Lavallée, Noémie Lebel et moi, Myriam Luce) et
quatre étudiantes en psychologie (Anne-Marie Voisard, Ana Gavrancic, Doreen
Perreault et Stéphanie Thivierge) que nous avons appris à connaître depuis,
nous formons le groupe Guatemala 2005 d'Écologie sans frontières. Comme le
nom l'indique, Écologie sans frontières est un organisme qui regroupe
habituellement des étudiants en écologie afin d'apporter un support
technique à des projets dans des pays en voie de développement. Cette année,
grande première, Écologie sans frontières se trouve multidisciplinaire, ce
qui nous permet d'aborder les problématiques que nous rencontrons avec deux
visions différentes et complémentaires.
Les visions nouvelles ne sont d'ailleurs pas ce qui manque au Guatemala.
Dès la sortie de l'avion, après avoir quitté un Québec printanier, froid et
pluvieux, on se retrouve sous le soleil des tropiques avec un thermomètre
approchant les 30 degrés. À l'aéroport, une foule de gens attend, entassée
aux portes, premier avant-goût des marchés et rues bondées de la ville de
Ciudad de Guatemala, la capitale.
Le pays est très coloré et animé. Il est peuplé de 14 millions
d'habitants parlant plus d'une vingtaine de langues et portant au moins
autant de types de costumes traditionnels mayas. La civilisation maya tient
une part importante dans l'histoire du pays, visible jusqu'à aujourd'hui par
les ruines, les langues et la culture maya. La région des Hautes Terres de
l'Ouest, que nous connaissons mieux pour y avoir voyagé, est une région
montagneuse où les paysages accidentés à couper le souffle abondent (la
route et la façon de conduire des gens doit contribuer en bonne partie au
fait d'avoir le souffle coupé…!). Nous nous trouvons dans une région où la
majorité de la population est d'origine indigène, mais même ici, les Mayas
sont peu visibles dans les villes, où les travaux bien rémunérés, les
centres d'éducation, les soins de santé et les Ladinos (gens de descendance
espagnole et maya) sont concentrés.
Là où nous travaillons, dans des petits villages d'un genre de «MRC»
guatémaltèque qui se nomme Concepción Huista, juchée à flanc de montagne à
plus ou moins 2000 mètres d'altitude, la majorité de la population est maya.
Ici, beaucoup de gens portent encore les costumes traditionnels, mais
surtout les femmes; les hommes s'habillent plus souvent à l'occidentale.
Chaque région du pays compte son costume traditionnel particulier et unique,
ce qui permettait à l'origine aux Espagnols de contrôler le mouvement des
Mayas dans le pays, en reconnaissant leur région d'origine par leurs
vêtements.
Les gens des villages sont très chaleureux et généreux. Il suffit de
monter dans un chicken bus et de ne pas trop avoir l'air de savoir où
on veut aller pour que spontanément quelqu'un qui se rend au même endroit se
propose d'être notre guide. Les gens sont toujours très curieux de savoir
d'où nous venons (inutile de dire que nous sommes assez faciles à remarquer)
et quelle langue nous parlons. Beaucoup de gens connaissent très mal le
Canada et ont bien de la difficulté à s'imaginer que nous ne venons pas des
États-Unis et que nous ne parlons pas anglais.
Les voyages en autobus de troisième classe sont d'ailleurs des
expériences culturelles intéressantes… L'idée de reprendre un vieux bus
scolaire, de le repeindre de couleurs brillantes, de lui ajouter un klaxon
tonitruant, des autocollants à l'intérieur et des sièges à trois places a
déjà quelque chose de déconcertant pour un Québécois moyen. Ajoutez à cela
la façon de conduire guatémaltèque, le bagagiste, le crieur qui annonce la
destination à tous les arrêts et les poulets sur le toit, et vous obtiendrez
un voyage palpitant (et peut-être un peu terrifiant).
Autre chose d'un peu inquiétant la première fois que cela se produit,
c'est la coutume de faire éclater des pétards pour toutes les célébrations,
comme par exemple pour la fête des mères, vers cinq heures du matin, ou
pendant la messe de bénédiction d'une maison neuve.
Les gens des communautés sont aussi accueillants et toujours souriants
malgré des conditions de vie véritablement difficiles. L'eau du village
manque régulièrement même en période de pluie; l'agriculture de subsistance
ne fait pas gagner assez d'argent pour envoyer les enfants au secondaire
dans la ville la plus proche; les sols sont fragiles, l'agriculture est
difficile et les glissements de terrain nombreux. Il existe dans Concepción
Huista des villages où il n'y a ni route, ni eau, ni électricité. Les gens
labourent la terre avec une bêche ou des bœufs quand la pente est assez
faible pour le permettre. Les forêts sont constamment repoussées de plus en
plus haut sur la montagne à la suite des pressions de l'être humain pour du
bois de construction ou pour faire la cuisine. Pourtant les gens connaissent
l'importance de leur forêt, mais ils ne peuvent pas arrêter de cuisiner pour
protéger les arbres. L'esprit de communauté est fort; les gens s'entraident
les uns les autres, et nous aident nous aussi.
Nous tentons de faire notre part pour leur rendre cette bonté du mieux
que nous le pouvons, mais en voyant tout ce que nous apprenons d'eux, il
semble difficile d'accomplir suffisamment en trois mois pour compenser la
richesse de l'expérience que nous aurons vécue.
Nous travaillons à la protection des sources d'eau et tentons ainsi de
repayer du mieux que nous le pouvons les gens qui nous accueillent si
chaleureusement dans leurs villages. Nous travaillons principalement sur
quatre aspects : la formation de commissions régionales de gestion des
ressources naturelles de façon durable, la reforestation, la gestion des
déchets et les barrières à l'érosion. Nous nous sentions bien dépourvus, au
début du voyage, avec nos études universitaires très théoriques, mais nous
réalisons que ce ne sont pas de nos connaissances que les gens ont le plus
besoin. Ils ont surtout besoin d'une influence extérieure pour mettre en
œuvre des pratiques qu'ils savent nécessaires et qui ne sont tout simplement
pas appliquées.
C'est ce rôle que nous jouons ici, celui de l'influence extérieure qui
aiguillonne la volonté des gens de faire quelque chose. Il est parfois
difficile d'accepter la petite part que nous accomplirons ici en si peu de
temps, au regard des besoins des gens qui sont si grands dans bien des
aspects de la vie. Ce que nous pouvons réaliser et la connaissance de nos
limites font aussi partie de notre apprentissage.
Un voyage à l'étranger et particulièrement un travail dans un
pays en voie de développement sont des expériences très riches. Nous vivons
chaque instant quelque chose de nouveau et d'important, dont nous tentons de
profiter au maximum. Bien sûr, on s'ennuie du Québec un peu aussi, mais on
ne s'ennuie pas au Guatemala.
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