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Liaison, 16 juin 2005
L'informaticien à la croisée des sciences
SOPHIE PAYEUR
Jean Goulet a une chance que beaucoup de jeunes pourraient lui envier :
il a su très tôt ce qu'il allait faire de sa vie. Le futur ex-doyen de la
Faculté des sciences a plusieurs amours qui ne l'ont pas quitté : les maths,
l'informatique et l'enseignement. D'ici peu, il portera un autre flambeau
pour défendre la recherche au Québec.
Jean Goulet est tombé amoureux par un beau soir d'automne. Nous sommes en
octobre 1964, Jean est âgé de 14 ans. La rencontre, bouleversante, est
décisive. «C'était la Semaine des sciences à l'Université de Sherbrooke,
raconte-t-il. J'étais en compagnie du professeur Julien Constantin. Il a
passé la soirée à m'expliquer les démonstrations des mathématiciens. Les
problèmes étaient beaux, d'une grande élégance, et les solutions faisaient
preuve de tellement d'imagination! Je suis tombé amoureux des maths.»
Pure abstraction de l'esprit, les maths suscitent toujours la même
fascination chez Jean Goulet. «Les mathématiques n'existent que dans la tête
des mathématiciens, explique-t-il. Un cercle, ça n'existe pas : c'est un
modèle parfait inventé pour représenter quelque chose d'approximatif. C'est
une preuve formidable de la force créatrice de l'esprit.» Il cite en exemple
Paul Erdös, l'excentrique mathématicien hongrois qui vouait une passion sans
bornes pour les nombres et les mathématiques. Les preuves élémentaires
constituaient pour Erdös ni plus ni moins que le Livre où Dieu aurait
consigné les preuves parfaites des théorèmes mathématiques…
Cet amour soudainement révélé pour les maths s'ajoute à une autre
certitude plus ancienne : son goût pour l'enseignement. «J'ai toujours su
que je serais enseignant.» Avant même d'avoir entamé ses études
universitaires, Jean Goulet trouve le moyen de remplir des classes entières
d'élèves… inscrits aux mêmes cours que lui! «Nous organisions des séances de
révision la veille des examens de maths au secondaire. Je me retrouvais
chaque fois à l'avant pour expliquer les problèmes. Au début, il y avait une
ou deux personnes. À la fin, il pouvait y en avoir jusqu'à 40!»
Quelques mois de cours universitaires en mathématiques suffisent pour que
survienne une autre révélation : Jean a un don naturel pour la programmation
informatique : «Je ne comprenais pas que ça n'était pas aussi naturel pour
les autres étudiants!» Il complète donc son baccalauréat par une
concentration en informatique et débute officiellement sa carrière
d'enseignant au cégep de Lennoxville. Un peu plus tard, il entreprend des
études supérieures à l'Université McGill tout en enseignant à l'Université
de Sherbrooke. Les choses se précipitent : on le pressent pour combler le
poste de directeur du Département de mathématiques et d'informatique de
l'Université, défi qu'il accepte de relever malgré sa courte expérience
professionnelle. Pendant deux ans, Jean Goulet prend les rênes du
Département après quoi il devient, en 1987, membre de l'exécutif du syndicat
des professeurs. Son implication syndicale dure 10 ans, à la suite desquels
il est nommé doyen de la Faculté des sciences.
L'engagement professionnel et social ponctue depuis longtemps la carrière
de Jean Goulet. Le professeur s'implique activement dans le mouvement scout
ainsi qu'au Conseil du loisir scientifique de l'Estrie, une organisation
sans but lucratif animée par la passion pour la science et la vigueur de ses
bénévoles. «Quand on sent qu'on peut apporter sa contribution, il faut
répondre à l'appel, confie-t-il. Personnellement, je préfère avoir des
remords d'avoir tenté quelque chose que d'éprouver des regrets de n'avoir
rien fait.»
Curieux, chercheur et enseignant
Jean Goulet poursuit actuellement des recherches avec deux collègues
biologistes, Ryszard Brzezinski et Luc Gaudreau. Réuni à la frontière entre
la biologie et l'informatique, le trio tente de percer les mécanismes
infectieux des gènes de Mycobacterium tuberculosis, la bactérie
responsable de la tuberculose. Les modèles informatiques conçus par Jean
Goulet et ses étudiants permettent de faire en peu de temps de nombreuses
manipulations abstraites et théoriques. «C'est une belle rencontre entre
deux disciplines, souligne l'informaticien. Mais pour que ce mariage porte
fruit, nous devons respecter la nature de chaque discipline. Il ne s'agit
pas simplement de concevoir des calculs qui donnent les bons résultats. Je
m'efforce de faire en sorte que nos modèles informatiques respectent la
réalité des systèmes biologiques qu'ils représentent.»
En dehors du labo, Jean Goulet savoure les moments passés devant une
classe bien remplie, des heures pendant lesquelles il distribue à ses
étudiants des histoires et des exemples abracadabrants avec un malin
plaisir. Il dit éprouver une joie immense à accompagner une personne du
point A au point B de son apprentissage. L'aspect spectaculaire des exposés
devant une classe bondée l'allume grandement, mais ce qu'il aime le plus,
c'est de voir chauffer sa classe comme du pop corn… jusqu'à ce que les
cerveaux se mettent à «popper»! «La compréhension n'est pas graduelle, elle
est soudaine, affirme le professeur. Je vois des étudiants se trémousser sur
leur chaise parce qu'ils ne comprennent pas. Mais tôt ou tard, ça finit par
popper!»
Même s'il reconnaît que les sciences pures sont des disciplines ardues,
Jean Goulet ne croit pas pour autant qu'il faille rendre ces matières plus
comestibles pour les jeunes. Le professeur pense qu'il est dangereux
d'amalgamer les différentes branches de la science au profit d'une approche
plus globale dite «des sciences», comme le veut le courant actuel. «Parler
de sciences en général sans enseigner spécifiquement la chimie ou la
physique équivaut à ne pas enseigner grand-chose, affirme-t-il. On ne peut
pas, comme société, faire l'économie de cette étape de comprendre
fondamentalement les choses. Pour changer le monde, il faut le comprendre.
Je pense qu'il faut pousser les jeunes pour qu'ils se rendent au bout de
quelque chose, pour qu'ils relèvent des défis. Si les maths ou la chimie
leur sont présentées comme des défis, ils voudront les relever, même si
c'est difficile.»
De ses huit années passées à la barre de la Faculté des sciences, Jean
Goulet retient avoir réussi à attirer à Sherbrooke des scientifiques de haut
calibre. Selon lui, un corps professoral fort a le plus grand impact sur la
qualité de la recherche et sur l'enseignement à long terme. «Au Québec,
dit-il, la Faculté des sciences de l'Université de Sherbrooke se démarque
nettement.» S'il délaisse ses fonctions de doyen, Jean Goulet ne démord pas
de son intention de valoriser la recherche scientifique. En 2006, il
deviendra le président de l'ACFAS, l'Association francophone pour le savoir;
un poste qu'il compte consacrer à la défense de la recherche au Québec.
«Notre province dispose de peu de voies pour défendre la recherche
scientifique, affirme-t-il. Je pense que l'ACFAS peut remplir ce mandat et
j'aimerais contribuer à renforcer ce rôle de promotion de la recherche
universitaire.»
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Jean Goulet, ex-doyen de la Faculté des sciences |