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Liaison, 14 avril 2005
Nouveauté livre
Critique invitée : MARIE-HÉLÈNE DESROSIERS
Étudiante en médecine
La fascination du pire, Florian Zeller
Florian
Zeller. Le nom ne me disait rien. Et à vous? Il possède trois romans à son
actif : Neiges artificielles (2002 – Prix de la fondation
Hachette), Les amants du n'importe quoi (2003 – Prix Prince Pierre
de Monaco) et La fascination du pire (2004 – Prix Interrallié).
Florian Zeller écrit également pour le théâtre depuis peu (L'autre
et Manège). Et il n'a que 25 ans!
Je vais vous lire la première page de La fascination du pire,
question de vous mettre dans l'ambiance. «Avertissement : Ce livre est une
fiction : la plupart de ce qui y est dit est faux; le reste, par
définition, ne l'est pas non plus.» Déjà, ça m'a plu. C'est vous dire à
quel point le coup de foudre a été rapide.
Je vous le dis tout de suite, ce roman joue sur deux tableaux à la
fois. Le premier, simpliste et amusant, unit les quelques personnages
principaux. Il s'agit essentiellement de la trame de fond sur laquelle le
deuxième tableau, beaucoup plus riche et subtil, se tisse. Le thème réel?
Orient et Occident : méprises et incompréhensions. D'ailleurs, plusieurs
de mes préjugés typiquement québécois sur l'Orient et la religion
islamique ont éclaté.
C'est bien beau de parler du coeur du livre, encore faut-il aussi
connaître l'enrobage pour en apprécier l'ensemble à sa juste valeur.
Premier tableau : superficie. L'histoire commence avec le personnage
principal, anonyme, appelons-le F. pour les besoins de la cause. Donc, F.,
un écrivain, est invité au Caire, Égypte, par l'ambassade française pour
un salon du livre, afin de donner une conférence. Deuxième tableau :
prémisse. Avec toutes les histoires de terrorisme arabe, dont un
écrasement d'avion quelques jours auparavant, F. n'est pas rassuré d'avoir
à voyager sur les ailes d'Air-Arabe (ou autre!). Il rencontre un autre
auteur également invité au salon littéraire, Martin Millet. Dans l'avion,
les musulmans font leur prière malgré les turbulences de l'avion. Attachez
vos ceintures, ça ne fait que commencer… Millet, pour qui toutes les
Égyptiennes sont des putes potentielles exotiques, défend ses
impressions : avec une histoire pornographique comme les Mille et une
nuits dans son patrimoine, peut-il en être autrement en Égypte? Les
Mille et une nuits se situent, mine de rien, au cœur du deuxième
tableau. On apprend donc que ce conte aurait été banni en Égypte puisque
trop profane pour les extrémistes. Ce n'est évidemment qu'un prétexte pour
aborder le sujet de la sexualité en Orient, celle-ci étant complètement
brimée. Zeller nous annonce alors la solution arabe concrète pour
préserver sa chasteté de façon moderne : la sodomie, bien sur.
Sarcastique, mais réaliste! Pour en revenir à Martin Millet, sa quête sera
d'assouvir ses fantasmes. Mais encore lui faudra-t-il trouver une femme au
pays de l'interdit… La réalité le rattrapera et elle sera d'une
originalité savoureuse. J'en rigole encore! Ah, luxure, quand tu nous
tiens!
Premier tableau. À destination, F. et Millet nouent des relations avec
le personnel de l'ambassade. Il y a d'abord Jérémie, qui a fui la femme
qu'il aimait pour se retrouver au bout du monde. Ensuite, Lamia, la plus
belle femme du Caire selon certains. Finalement Mathilde, tellement
effacée que ça ne vaut pas la peine d'en parler. Il n'y a pas grand-chose
à dire du salon du livre à première vue. En creusant, on se heurte aux
faits : la littérature égyptienne est excessivement réglementée.
Conclusion : bonjour l'exil des esprits! D'ailleurs, la censure est
omniprésente, et ce dans tous les médias. En effet, les studios de la
radio nationale sont situés dans un immeuble gouvernemental. Si c'est une
coïncidence, elle est forte…
En passant, vous avez déjà visité les Pyramides? J'espère que oui car
vous n'en aurez pas l'occasion dans La fascination du pire. Vous
aurez compris qu'on est loin du tourisme américain! L'auteur nous plonge
plutôt au coeur de croyances actuelles occidentales avec un cynisme
rafraîchissant. Le filtre de l'humour donne une légèreté au lourd thème
islamique et oriental. Sans aucune banalisation, les comparaisons de
Florian Zeller entre notre monde et le monde arabe m'ont ouvert les yeux
et l'esprit... dans un éclat de rire, ne l'oublions pas! Pour ce qui est
de la fin du livre, je vous laisse la surprise. Avant-goût : elle est très
cocasse et queue de poisson : génial!
«Un bon écrivain est celui qui nous amène précisément là ou nous
n'avons pas envie d'aller», lit-on. Je n'aurais pas pu mieux formuler ma
pensée.
En collaboration avec
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