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Du sucre pour les canadiens
Samuel
Royer-Tardif
ESF Sabia 2005
Lorsque je suis arrivé au Brésil, la fatigue, la langue et la peur de
l'inconnu ont dressé un mur qui me paraissait infranchissable. La langue
était la plus grande de mes craintes : comment communiquer avec les gens si
je ne les comprends pas moi-même? Or, j'ai été surpris de la rapidité avec
laquelle j'ai réussi à m'adapter. Il faut dire que j'ai appris à faire
répéter les gens, ce qui est fort utile... Aussi, j'ai vite compris que
l'inconnu est en fait ce qui rend les voyages si excitants. Et pour la
fatigue, je crois que j'ai eu amplement le temps de me reposer... du moins,
mentalement.
Au Brésil, c'est comme si le temps était suspendu. Les gens ne
s'inquiètent pas de prendre une heure ou deux pour dîner, ou encore de se
reposer le matin avant d'aller à l'école. C'est pourquoi j'ai l'impression
de me retrouver, ici. Depuis mon arrivée, j'ai acquis une tranquillité
d'âme. Avec son soleil permanent, ses plages aux eaux magnifiques, sa forêt
tropicale à la fraîcheur attirante, on a l'impression qu'il s'agit d'un pays
parfait.
Mais le Brésil est aussi un pays où la pauvreté est omniprésente et les
difficultés, réelles. Dans la ville de Recife, par exemple, des déchets
jonchent les rues, des égouts à ciel ouvert répandent leurs odeurs et
plusieurs immeubles sont en piteux état. La plupart des cours d'eau de la
ville sont envahis de plantes aquatiques et dégagent des parfums peu
agréables. Heureusement, la ville recèle des beautés : des plages
paradisiaques, des rues aux immeubles parsemés de végétation luxuriante. Le
Brésil est un pays de contrastes. On trouve des bidonvilles derrière de
riches domaines.
Un soir, alors que j'étais avec un ami sur son balcon, il me dit : «Tu
vois les édifices, en face? Ce sont des appartements que seulement 10 % de
la population a les moyens de louer. Les autres vivent là, où tu vois les
lumières.» Et ce faisant, il me montra du doigt la marée de petites lumières
délimitant les quartiers les plus pauvres de la ville. C'est alors que j'ai
réalisé la proportion de personnes qui vivaient dans de telles conditions.
Malgré la pauvreté, les gens sont immensément généreux et soucieux de
leur prochain. Cependant, plusieurs n'hésiteront pas à dérober vos choses
lorsque vous avez une minute d'inattention. Les Brésiliens sont très fiers
de nous présenter leur pays, leur région et leurs coutumes, mais ils se
découragent facilement en disant que leur pays est pauvre et qu'il est en
grande difficulté. J'aimerais tellement pouvoir les persuader du contraire.
Il m'arrive d'échapper à l'effervescence de la ville lors des voyages
dans la forêt atlantique. Il s'agit là de la plus belle région du Brésil que
j'ai vue. Le matin, les premiers rayons de soleil percent le ciel et la
canopée de la forêt, réveillant les cigales qui, dans un concert
parfaitement synchronisé, émettent leur premier chant diurne. Mais ici, les
cigales peuvent chanter autant qu'elles veulent étant donné qu'elles n'ont
pas besoin de faire des provisions pour l'hiver. Le soir, lors du retour au
campement après une dure journée de travail, le plus beau des spectacles
s'étale devant nos yeux : le soleil qui se couche derrière les montagnes
boisées et les champs de canne à sucre.
Lors de ces journées de travail, j'ai eu la chance de travailler avec un
garçon de 13 ans qui se nomme Manuel. Si jeune, mais pourtant si
débrouillard et d'une aide précieuse. Un adolescent peu bavard, mais qui a
un sacré sens de l'orientation, une intelligence foudroyante et qui dans un
milieu plus favorable, aurait pu s'assurer un brillant avenir. Malgré tout,
il rentre chez lui le soir dans sa maison sans eau ni électricité.
Dans le hameau où nous travaillons, les enfants comme Manuel sont
nombreux et curieux. Ils viennent souvent s'asseoir près de nos tentes afin
de nous observer, regarder ces Canadiens qui parlent à peine leur langue.
Lorsqu'on y réfléchit, on se rend compte que ces enfants ne sont en rien
différents des autres enfants. Ils sont curieux, avides de connaissance et
bien dégourdis. La seule différence est qu'ils vivent dans des conditions
plus difficiles et doivent travailler afin d'aider leurs parents. Car en
effet, le travail dans les champs de canne à sucre n'est pas facile. Les
hommes se lèvent vers 4 h du matin pour aller travailler de leurs mains dans
des champs dont l'inclinaison atteint parfois 60 degrés. Certains troquent
leur santé pour un salaire plus élevé afin de donner plus à leurs enfants en
traitant les cultures aux herbicides et ce, sans protection convenable. Mais
encore ainsi, leur revenu est maigre.
Ainsi, il faut croire que la culture de la canne à sucre n'a pas que des
effets sur l'environnement, mais aussi sur la vie des gens. Je crois que je
ne regarderai plus jamais mon sucre de la même façon.
Marianne en plein travail. |
Un champ de canne à sucre avec en arrière-plan un fragment de la forêt
tropicale atlantique. |
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