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Liaison, 14 avril 2005
Quelle relève pour les antibiotiques?
SOPHIE PAYEUR
Fortement médiatisés, les ravages causés dans les hôpitaux par C.
difficile et par le SARM ramènent sur la place publique le problème de
la résistance des bactéries aux antibiotiques. Pour deux chercheurs du
Département de biologie, ces superbactéries révèlent un autre problème, tout
aussi criant, qui tarde à être pris en charge.
On apprenait l'an dernier que la bactérie Clostridium difficile
avait infecté des milliers de personnes hospitalisées et que plusieurs
centaines d'entre elles y avaient laissé leur vie. Le mois dernier, c'est la
bactérie SARM, Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline, qui
défrayait les manchettes. Cette superbactérie, qui aurait déjà infecté des
milliers de patients, cogne sur le clou déjà bien enfoncé par C.
difficile et par une multitude d'autres petites bêtes nosocomiales : les
bactéries sont de plus en plus habiles à déjouer les mécanismes des
antibiotiques.
Les solutions avancées pour remédier au problème gravitent autour de
mesures de prévention plus strictes dans les hôpitaux et d'une utilisation
prudente des antibiotiques. Bien qu'elles ralentissent la progression de la
résistance, ces mesures n'ont aucun effet sur le problème de fond. Qu'en
est-il des efforts pour répondre au besoin d'alternatives aux antibiotiques?
«Ce problème n'est pas dans la mire des grandes compagnies
pharmaceutiques», explique le microbiologiste François Malouin. Le chercheur
rappelle que les antibiotiques ont fait des miracles au cours des dernières
décennies en traitant en quelques jours de graves infections. Mais
aujourd'hui, la résistance des bactéries pourrait entraîner le retour de
maladies mortelles. La solution durable consiste à trouver des alternatives
aux antibiotiques couramment utilisés. Or, il faut 10 longues années pour
concevoir et mettre sur le marché un nouveau médicament. «C'est le travail
des compagnies pharmaceutiques, dit Brian Talbot. Mais pour l'instant, parce
que les recherches ne sont pas assez avancées, les compagnies préfèrent
s'attaquer au marché des maladies chroniques.»
Pourtant, des scientifiques qui s'intéressent activement au phénomène de
la résistance aux antibiotiques, il y en a. Le microbiologiste François
Malouin et l'immunologiste Brian Talbot en sont des exemples concrets.
Attaquer les gènes virulents
Directeur du Centre d'études et de valorisation de la diversité
microbienne, François Malouin se penche sur la mécanique intime de
Staphylococcus aureus. Couramment appelée staphylocoque doré, cette
bactérie commune comporte plusieurs souches plus ou moins virulentes. La
voie empruntée par François Malouin consiste à analyser des milliers de
gènes en action sur plusieurs souches de staphylocoque doré, y compris
celles qui résistent aux antibiotiques. Ses analyses ont dévoilé au cours
des derniers mois quelques-unes des armes redoutables de Staphylococcus
aureus. «Les souches qui résistent aux antibiotiques comme les SARM
expriment une image génétique très particulière, explique François Malouin.
Les Staphylococcus aureus ont presque tous le même bagage génétique.
Mais en situation d'infection, on voit très clairement que les souches
résistantes expriment ces gènes d'une manière différente des souches non
résistantes.»
Cette percée ouvre le champ à la conception d'une toute autre génération
d'antibiotiques. «Tous les antibiotiques conçus jusqu'à ce jour ciblent des
gènes exprimés in vitro, soit en situation de culture. Aucun ne cible
les gènes spécifiquement impliqués dans le processus d'infection, précise
François Malouin. Nos données permettraient alors de concevoir des «antipathogenèses»,
des médicaments qui, au lieu de s'attaquer aux bactéries, bonnes ou
mauvaises, s'attaquent au groupe de gènes virulents. De cette manière, on
pourrait éliminer l'impact des antibiotiques dans l'environnement et
ralentir considérablement le mécanisme de sélection naturelle des bactéries
résistantes.»
Empêcher l'arrimage
La curiosité et les recherches de Brian Talbot l'ont lui aussi mené sur
une piste fertile pour la création d'un tout autre type de thérapie contre
les bactéries. Immunologiste, Brian Talbot s'intéresse au staphylocoque doré
qui provoque la mammite bovine, une grave infection des glandes mammaires
qui cause plusieurs pertes économiques dans l'industrie laitière. Le
chercheur a récemment développé un vaccin à ADN dans le but de traiter cette
maladie. Bien qu'imparfaits, les résultats obtenus jusqu'à maintenant par
des essais chez les souris montrent que leur système immunitaire a bien
réagi en produisant une quantité appréciable d'anticorps. Or, le problème de
la mammite bovine qui intéresse Brian Talbot est similaire au problème du
SARM dans les hôpitaux. «Le vaccin cible seulement quelques-uns des
3000 gènes de la bactérie, explique Brian Talbot. Contrairement aux vaccins
traditionnels, nous ne ciblons pas les gènes typiquement virulents : nous
visons plutôt les gènes qui produisent les protéines permettant au microbe
de s'arrimer aux cellules juste avant de les infecter. Injectés dans le
corps, ces gènes et leurs protéines, que nous avons désactivées, provoquent
une réaction du système immunitaire. Cette réaction est gardée en mémoire :
si la bactérie frappe un jour, la mémoire du système immunitaire est
réactivée et il produit ses anticorps.»
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Les chercheurs François Malouin et Brian Talbot réclament des
mesures pour stimuler la recherche d'alternatives aux antibiotiques.
Photo SSF : Roger Lafontaine
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