Un Québécois et le grand village du caire
Simon Larouche
Étudiant à la maîtrise en histoire
Voilà deux semaines! Mon départ était le 7 février et il m'apparaît déjà
bien loin. Depuis mon arrivée en Égypte, les aventures et les heureuses
rencontres se succèdent sans répit, donnant des couleurs éclatantes aux
premières semaines de mon long séjour de quatre mois. Je suis ici pour
apprendre la langue arabe, mais aussi pour m'initier à la culture d'une
nation plusieurs fois millénaire. J'ai eu la chance au cours des derniers
jours de découvrir le mode de vie sans pareil des habitants d'une immense
ville ou plutôt d'un «gigavillage», le Caire.
La cacophonie des klaxons
Le Caire est une mégapole qui se développe à un rythme effréné. Sa
population est estimée à 20 millions d'habitants et ce chiffre ne cesse
d'augmenter. Cette ville, fondée au Xe siècle, s'est
historiquement déplacée vers le nord. Aujourd'hui, elle croît dans toutes
les directions, bravant ainsi le désert qui l'entoure. Les fameuses
pyramides de Gizeh sont désormais assiégées par des immeubles. Lorsqu'on se
promène au Caire, il faut toutefois oublier les images romantiques des
pyramides; le spectacle offert est d'un tout autre ordre. Sur l'immense
carrefour de la place Tahrir, les automobiles se disputent l'asphalte avec
une inquiétante indifférence des lignes blanches et des piétons. «Ici, les
voitures ne freinent pas, elles klaxonnent!» disent plusieurs. Je fige! La
cacophonie des «criards» se fait entendre du matin au soir sans que je m'y
habitue. Aucune règle ne semble en vigueur. Pour le nouvel arrivant, ce lieu
a tous les symptômes du chaos.
Le Caire n'a rien d'une métropole conventionnelle comme New York ou
Berlin : la vie ici est celle d'un village où l'ensemble des habitants d'un
quartier se connaît. Il y a d'abord l'île cossue de Zamalek et les régions
appauvries d'Imbaba et de Boulaq. Depuis mon arrivée, je découvre peu à peu
la vie agitée des habitants d'el-Dokki, et plus particulièrement de ceux qui
parcourent quotidiennement l'une des importantes artères de ce quartier
populaire, la rue marchande de Sulayman Gohar.
J'habite en effet en périphérie de cette rue qui traverse el-Dokki de la
même façon que le Nil divise l'Égypte, c'est-à-dire du sud jusqu'au nord. Un
grand nombre de rues secondaires et d'habitations dépendent de cette allée
peuplée de commerces de tout acabit. Il y a d'abord les boulangeries et puis
les différentes boucheries qui étalent sans souci leur viande sur les abords
des trottoirs. On retrouve aussi de nombreux fermiers qui vendent fruits et
légumes dans des kiosques rudimentaires enchâssés entre les voitures
stationnées dans tous les sens. Des éleveurs marchandent également des
dindons attachés vivants au sol ainsi que des poulets enfermés dans des
cages de bois. Le joyau de Sulayman Gohar est certainement le marchand de
jus d'orange, boisson préparée sous vos yeux avec des fruits frais pour un
prix dérisoire.
Les journées ne se terminent jamais sur la rue Sulayman Gohar. Les femmes
voilées y achètent le nécessaire pour les repas et les hommes se reposent au
café du coin, fumant tranquillement le narguilé avec un thé. Les enfants
quant à eux chassent sans relâche les chats de gouttière qui trouvent refuge
dans les nombreuses ruelles. Chacune des heures de la journée est ponctuée
par le chant du coq alors que les muezzins appellent cinq fois par jour les
musulmans à la prière. L'antre des mosquées s'ouvre sur la rue, laissant
voir ainsi la vive religiosité de ce quartier. Il y a parfois des bagarres
sur Sulayman Gohar; la rue s'improvise alors en une arène populaire où les
spectateurs hébétés se regroupent en silence pour observer le malheureux
spectacle.
Dans ce petit quartier cairote oublié des touristes, je ne suis que l'agnab,
c'est-à-dire l'étranger. La couleur de ma peau et mon accoutrement marquent
ma différence indélébile! Mes quelques aptitudes en arabe classique ne me
sont d'aucun secours puisqu'un dialecte est parlé ici. Ma présence dérange
bien sûr certains dans ce quartier populaire, et ils n'ont aucune gêne pour
l'exprimer. Ils ne représentent toutefois pas la majorité! Lorsque j'arpente
les trottoirs de la rue Sulayman Gohar, il y a toujours quelqu'un pour
m'offrir un sincère Welcome in Egypt!
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