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Liaison, 24 février 2005
Créer quand tout est relatif
C'est lorsqu'elle fouille, découvre, analyse et crée que Kateri
Lemmens touche sa part de bonheur et donne le meilleur d'elle-même. On ne
saurait en douter, puisqu'elle a remporté le 9 février le Prix du
vice-rectorat à la recherche pour la meilleure thèse de doctorat déposée
en 2004 à l'Université dans la catégorie Lettres et sciences humaines et
sociales.
STÉPHANIE RAYMOND
Le projet de doctorat en études littéraires présenté par Kateri Lemmens
en 1999 à la professeure Christiane Lahaie était plutôt audacieux. Alliant
étude et création littéraire, philosophique et éthique, le but était de
présenter la création comme contrepoids à la dégradation des valeurs dans la
société moderne. L'audace a porté fruit. Cinq ans plus tard, en
septembre 2004, la jeune chercheuse remettait une thèse de 582 pages,
Cette pâle immensité – un roman, suivi de La part de l'œuvre : nihilisme et
création – un essai, qui lui a valu de remporter le prestigieux prix
accompagné d'une bourse de 1500 $.
«Kateri Lemmens sait appréhender la vie de façon lucide et logique, tout
en laissant l'émotion circuler librement, affirme Christiane Lahaie. Sa
thèse reste à son image : complexe, unique et touchante. Ce prix, elle le
méritait, et je ne doute pas qu'elle en remportera bien d'autres.»
Nietzsche et le nihilisme comme
éclairage au processus de création
Le parcours de Kateri Lemmens est d'abord philosophique, elle qui a
étudié au baccalauréat en philosophie à l'Université de Sherbrooke de 1993
à 1996. «J'ai voulu me servir du nihilisme de Nietzsche pour analyser le
processus de création dans le monde actuel, explique la jeune femme. Mon
questionnement était existentiel, philosophique, éthique, créatif et
esthétique.»
Le nihilisme présente un monde moderne où tout est relatif, s'équivaut,
et où Dieu et les valeurs traditionnelles ont perdu leur place. Résultat :
les gens ne trouvent plus de réponses aux grandes questions existentielles.
«J'ai d'abord relu les fragments posthumes de Nietzsche (ce qui
représente plus de la moitié de son oeuvre) pour trouver ce qu'il y avait de
positif dans le nihilisme, indique la chercheuse. Ce courant nous oblige à
être créatif et à aimer la vie pour ce qu'elle est sans avoir besoin de
recourir à des valeurs transcendantes.» Cette analyse représente le tiers de
sa thèse.
À partir de cette analyse, Kateri Lemmens a dans un second temps lu les
œuvres de trois écrivains, Hubert Aquin, Milan Kundera et Robert Musil, pour
découvrir comment ces auteurs répondaient à la théorie du nihilisme et
quelle valeur ils donnaient à la création. «Cette analyse se situait plutôt
dans le domaine de l'éthique, explique la chercheuse. Je voulais répondre à
cette question : pourquoi écrire et créer?»
Dernière partie de la thèse : le roman, Cette pâle immensité, qui
fait 200 pages et que l'auteure a commencé il y a sept ans. L'histoire met
en scène plusieurs personnages pris dans le monde du nihilisme, avec ses
contradictions et ses douleurs. «Certains réagissent difficilement et se
perdent, alors que d'autres se réconcilient avec la vie, ce qui est la base
de la solution de Nietzsche», souligne-t-elle.
Immense soulagement et plaisir véritable
C'est avec un immense soulagement mais surtout un réel plaisir que Kateri
Lemmens est arrivée «au bout de quelque chose de très difficile». Et le prix
lui a donné une raison supplémentaire de se réjouir : «Je suis très contente
et fière d'avoir reçu le prix, je l'apprécie énormément car il vient
souligner les efforts accomplis. Je le reçois aussi avec humilité. J'aurais
écrit deux pages de remerciements si j'avais pu, surtout pour ma directrice
Christiane Lahaie, qui a été tellement importante dans tout le processus.»
Kateri Lemmens songe déjà au postdoctorat, après – on la comprend! – un
certain temps de répit : «Il reste beaucoup d'éléments que je n'ai pas pu
travailler dans le cadre de ma thèse, et cela me laisse avec beaucoup
d'insatisfaction. Et je suis bien à l'université, à apprendre et à chercher
tout le temps. Pour moi, c'est le bonheur! Ce n'est pas toujours évident
d'allier mon côté création et mon côté recherche, mais c'est passionnant!»
Temps de répit ne signifie pas repos au bord de la plage. La jeune
docteure se consacre maintenant à l'écriture d'un deuxième roman, projet
pour lequel elle a reçu une subvention du Conseil des arts et lettres du
Québec.
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Kateri Lemmens a remporté le 9 février le Prix du vice-rectorat à la
recherche pour la meilleure thèse de doctorat déposée en 2004 à
l'Université dans la catégorie Lettres et sciences humaines et
sociales.
Photo SSF : Roger Lafontaine |