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Liaison, 10 février 2005

Au-delà de l'horreur

Au moment où le tsunami déferlait sur l'Asie du Sud-Est, Marie-France Tessier, une étudiante en génie, faisait de la plongée sous-marine au large de l'île thaïlandaise de Kho Phi Phi. Elle a ressenti une forte vague, qui l'a forcée à regagner la surface, mais ce n'est qu'à son retour sur l'île qu'elle a réalisé l'ampleur de la catastrophe. Près d'un mois et demi plus tard, elle n'arrive toujours pas à chasser de son esprit les images d'horreur qui l'attendaient ce jour-là. Elle n'arrive pas à classer, dans sa tête, ce qu'elle a vécu. Afin de nous faire connaître la ténacité, la générosité et la solidarité dont elle a été témoin, elle nous a contacté. Question de tenter de trouver, collectivement, un sens à tout ça.

CHARLES VINCENT

Le 26 décembre, à 8 h du matin, au moment où Kho Phi Phi s'éveillait, les habitants ont senti une énorme secousse. Ils l'ignoraient, mais c'était là le tremblement de terre duquel naîtrait le funeste tsunami. Deux heures plus tard, trois vagues immenses frappaient coup sur coup le piton montagneux situé au sud de l'île. Au contact de cette masse rocheuse, les vagues se sont brisées en deux pour ensuite contourner la montagne et engloutir les plages situées de chaque côté de l'île. Les vagues frappaient des deux côtés à la fois. Aucune possibilité de retraite. Aucune issue. Les habitants et les touristes étaient pris au piège, entre deux murs d'eau.

Quelque temps auparavant, Marie-France explorait les fonds marins en compagnie d'autres touristes, à environ 1 h 30 au large de l'île. Ils nageaient à 30 mètres sous l'eau quand ils se sont fait “bousculer par un courant déchaîné”. Ébranlés, les plongeurs réussirent in extremis à s'agripper à la corde qui les reliait au bateau et, une fois la secousse passée, à remonter à la surface. “Nous étions inquiets à l'idée d'avoir perdu un collègue ou le bateau, indique Marie-France. Heureusement, tous étaient saufs et le bateau était là, en bon état. À ce moment, personne ne soupçonnait que l'île ait pu être touchée. Quittes pour une bonne frousse, les plongeurs décidèrent de retourner au port.

Voici ce qui les attendait :

Extraits de la lettre que nous a envoyée Marie-France

“Alors que nous approchions de l'île, on a remarqué une soixantaine de bateaux ancrés en mer, à proximité de la rive. Nous cherchions le quai, mais il n'y en avait plus. Les communications se faisant en thaïlandais, personne d'entre nous ne comprenait ce qui se disait. Visiblement, on attendait la construction d'un quai de fortune. Quand ce fut chose faite, le bateau s'est approché de la rive, tranquillement. C'est à cet instant que la peur s'est emparée de moi. Personne ne parlait, le silence était lourd. Aucun son, aucune expression, seuls des tremblements. L'île était complètement détruite.

Des carcasses de maison, des téléviseurs, des réfrigérateurs, des poupées... et des corps sans vie flottaient partout autour du bateau. On avançait et reculait sans cesse, afin de contourner tous ces obstacles. Arrivés au “port”, ce fut le choc! Nous sommes descendus à tour de rôle du bateau. Le corps d'un homme gisait sur la plage, sans vie, à deux mètres de nous. Les bras tendus vers nous et ses yeux grands ouverts témoignaient de l'atrocité de la catastrophe qui venait de se produire.

J'ai imploré mon corps de trouver en moi l'énergie, le courage et le sang-froid pour faire face à la situation. Il y avait tant à faire…

La nuit approchait, certains d'entre nous se rassemblaient pour faire un gigantesque feu, afin d'indiquer un lieu de ralliement. En quelques minutes, et pendant plus de cinq heures, des personnes arrivèrent. Plusieurs avaient des blessures indescriptibles. Pour les aider, on ne comptait que sur une trentaine de volontaires, dont seulement trois médecins. Nous faisions tout ce qui était possible, dans les circonstances, pour leur venir en aide, défonçant les portes des chambres d'un hôtel pour en retirer les draps et les lits.

C'est ainsi que, sous la lumière de la pleine lune, les pleurs constants et les cris de souffrance, nous courions de tous bords tous côtés pour soigner les blessés de notre mieux et pour déloger les survivants des décombres. Certains avaient d'énormes plaies ouvertes, déjà infectées.

Je me suis arrêtée un instant. J'ai respiré. Je me suis pincée, me demandant si j'étais réellement dans cette situation. “C'est impossible!” me suis-je dit. Je m'efforçais de ne pas porter mon regard autour de moi.

Au milieu de la nuit, un premier hélicoptère est arrivé. Puis, un deuxième, un troisième… Ils apportaient de la nourriture, de l'eau et des médicaments avant de repartir avec les blessés. Au lever du jour, l'activité a repris de plus belle. Les blessés qui avaient attendu le lever du soleil pour se déplacer arrivaient au “camp”. Ce fut comme ça pendant des heures.

Durant la nuit, la marée est montée, laissant dans sa retraite les pires atrocités sur les plages. Des corps empilés s'étalaient à perte de vue. Rapidement, une odeur nauséabonde s'est installée. Une odeur dont l'intensité est indéfinissable. Jamais je ne l'oublierai.

Après 48 heures sans repos, un médecin m'a recommandé de rentrer à la maison, vu les dangers de contamination. Cependant, avant de quitter l'île, je devais retrouver mon passeport, resté dans la chambre à l'hôtel où je logeais. Je me suis dirigée sur la plage qui me conduisait à l'hôtel, mais j'ai rapidement fait demi-tour. Je n'avais plus l'énergie ni la force physique pour endurer la vue de ce spectacle horrifiant. C'est ainsi qu'un ami, rencontré là-bas, m'a pris le bras et m'a guidée jusqu'à l'hôtel.

J'ai donc quitté l'île le soir même, en bateau, à destination de Phuket. Là, j'ai pris un avion vers Bangkok, la capitale thaïlandaise. C'est ainsi que quatre jours après avoir vécu les moments les plus difficiles de ma vie, j'ai pu rentrer chez moi, au Québec.”

Une vie changée à jamais

Un mois et demi plus tard, Marie-France fait le point en entrevue à Liaison : “Ma vie, mes valeurs et mon plan de carrière ont complètement changé depuis le 26 décembre. Je le sais maintenant avec certitude, la vie ne tient qu'à un fil. J'en veux pour preuve le fait qu'en temps normal, j'aurais été à la plage à ce moment de la journée. Je serais morte, à l'heure où l'on se parle. Mais le hasard a fait que j'étais en plongée.” Pour l'instant, elle en tire comme principale conclusion l'importance de vivre sa vie avec intensité : “Dorénavant, je compte être davantage positive, vivre chaque instant intensément.”

Même si elle s'efforce d'être positive, Marie-France ne peut se défaire du sentiment de culpabilité qui l'habite. Culpabilité d'être partie, d'avoir abandonné ces gens au plus fort de la crise, de vivre dans son confort nord-américain pendant que la misère sévit encore là-bas. “Les Thaïlandais sont extrêmement généreux, explique-t-elle. Ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour venir en aide aux touristes, sans même penser à leur propre malheur. Ils méritent toute notre admiration.”

C'est d'ailleurs pour eux, et pour tous les peuples qui souffrent dans le monde, que Marie-France a décidé de consacrer sa vie professionnelle à l'aide humanitaire. Elle veut d'abord finir son baccalauréat en génie civil, mais elle entend joindre les rangs d'une organisation humanitaire le plus rapidement possible. Elle souhaite même faire l'un de ses futurs stages coopératifs au sein d'un tel organisme. Avis aux intéressés.

En attendant, elle nous invite à faire un don aux sinistrés du tsunami, quel que soit le montant.

 

La place publique avant la catastrophe.

La place publique après la catastrophe
En haut, la place publique avant la catastrophe. En bas, le même lieu lorsque Marie-France l'a traversé pour aller chercher son passeport, deux jours après le raz-de-marée.

Photo : M.-F. Tessier

L'île de Kho Phi Phi. On voit bien la géographie : deux pitons rocheux situés aux extrémités d'une bande de terre sur laquelle se trouvent les habitations. Le jour du tsunami, les trois vagues se sont brisées sur le piton du sud, ce qui a eu pour effet de les diviser en deux. Les habitants se sont retrouvés assaillis des deux côtés à la fois. Aucune possibilité de retraite dans les terres. Ils étaient pris au piège.
L'île de Kho Phi Phi. On voit bien la géographie : deux pitons rocheux situés aux extrémités d'une bande de terre sur laquelle se trouvent les habitations. Le jour du tsunami, les trois vagues se sont brisées sur le piton du sud, ce qui a eu pour effet de les diviser en deux. Les habitants se sont retrouvés assaillis des deux côtés à la fois. Aucune possibilité de retraite dans les terres. Ils étaient pris au piège.

Photo : M.-F. Tessier

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Marie-France Tessier est étudiante au baccalauréat en génie. Elle figure parmi les rescapés du tsunami qui a déferlé sur l'Asie du Sud-Est, le 26 décembre. Elle a tenu à témoigner de ce qu'elle a vécu.
Marie-France Tessier est étudiante au baccalauréat en génie. Elle figure parmi les rescapés du tsunami qui a déferlé sur l'Asie du Sud-Est, le 26 décembre. Elle a tenu à témoigner de ce qu'elle a vécu.

Photo SSF : Roger Lafontaine

 

 

 

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