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Liaison, 10 février 2005
Les travaux du physicien Christian Lupien
Traquer les électrons du froid
SOPHIE PAYEUR
Chercheur autodidacte, Christian Lupien apprivoise la science depuis
l'âge de sept ans. Nouvelle recrue de l'Université, le physicien ramène une
expertise rare et des connaissances toutes fraîches qui piquent la curiosité
de la communauté scientifique.
La science, Christian Lupien s'est jeté dedans lorsqu'il était petit.
Très jeune, il se plaît à suivre à la télé les fabuleuses expéditions
sous-marines du commandant Cousteau. Plus tard, il bidouille l'ordinateur
familial et se gave de lectures sur le langage informatique. Pendant ses
études secondaires, il conçoit et met en œuvre un programme informatique
pour le comptoir des Caisses populaires Desjardins de son école, tenu par
les élèves. «Tout se calculait à la mitaine, raconte le chercheur. Chacun
des 200 folios que nous gérions devait être mis à jour à l'aide d'une
calculatrice. C'était très enclin aux erreurs, long et fastidieux. J'ai
décidé que j'en avais assez : j'ai monté un programme informatique.» Le
logiciel a intéressé le Mouvement des caisses tant et si bien que Desjardins
a acheté le produit à son concepteur! Christian Lupien a même été embauché
pour donner des cours d'utilisation dans les grandes régions de Montréal et
de Québec.
Mais au moment de choisir une profession, il s'interroge : l'informatique
ou la physique? «Même si je lisais sur le sujet, la physique demeurait
mystérieuse. Et puis j'ai réalisé que l'informatique était davantage pour
moi un hobby qu'une carrière.» Il s'inscrit donc en physique à
l'Université McGill, où il effectue ses études de baccalauréat et de
maîtrise. Il y fait la rencontre de Louis Taillefer. Chercheur émérite
aujourd'hui établi à Sherbrooke, Louis Taillefer a reçu de nombreux prix et
honneurs pour ses travaux sur les supraconducteurs, des matériaux qui
promettent de conduire l'électricité bien plus efficacement que les
matériaux traditionnels.
C'est auprès de lui que Christian Lupien s'initie à ce domaine au grand
potentiel de découvertes. Après un bref détour par l'Observatoire des
neutrinos de Sudbury, il décide de se consacrer définitivement à la
supraconductivité. Et lorsque Louis Taillefer accepte l'offre d'embauche de
l'Université de Toronto, Christian le suit pour y faire ses études
doctorales. «Le domaine de la supraconductivité est plein de phénomènes
compliqués qu'on ne comprend pas, explique le physicien. C'est le gage qu'on
va s'amuser pendant plusieurs années!» Christian Lupien se familiarise avec
plusieurs techniques sophistiquées et acquiert une riche connaissance du
microscope à effet tunnel aux températures dignes de l'homme des glaces,
températures auxquelles se manifestent les propriétés supraconductrices de
plusieurs matériaux. Cet outil est si sensible qu'il permet d'observer les
atomes en surface et d'étudier le comportement des électrons dans les
supraconducteurs plongés dans le froid extrême, à des températures
atteignant le zéro absolu (-273°C). Très au fait
des derniers développements techniques en la matière, Christian poursuit ses
études postdoctorales dans l'État de New York, à l'Université Cornell.
Là-bas, il fera l'expérience palpitante du potentiel d'amusement des
supraconducteurs.
Une découverte hors du commun
En 2003, alors qu'ils observent un matériau supraconducteur membre de la
famille des cuprates (Na-CCOC), Christian Lupien et son équipe sont témoins
d'un étrange phénomène. À un certain moment, les électrons se mettent à
ignorer les atomes auxquels ils sont naturellement «liés». Leur arrangement
dans l'espace prend alors les allures d'un damier. «C'est un peu comme si,
périodiquement, les électrons se foutaient des atomes et adoptaient la
structure de tuiles bien disposées les unes par rapport aux autres, explique
le chercheur. Un arrangement très ordonné. Nous ne nous attendions vraiment
pas à cela!» Ses recherches effectuées avec Séamus Davis, de l'Université
Cornell, et Hidenori Takagi, de l'Université de Tokyo, ont été publiées en
août 2004 dans la prestigieuse revue Nature. Depuis, de nombreux
chercheurs et chercheuses de partout dans le monde tentent d'élucider le
curieux arrangement des électrons.
«Cet arrangement pourrait être lié à ce que les physiciens appellent le «pseudogap»,
précise Christian Lupien. Le pseudogap correspond en effet à un mystérieux
changement de comportement qui survient dans les matériaux supraconducteurs
de la famille des cuprates. Bien qu'ils ne sachent pas exactement de quoi il
s'agit, les scientifiques pensent que le pseudogap signale la présence de
propriétés magnétiques inhabituelles. Ces propriétés singulières pourraient
éventuellement expliquer pourquoi certains matériaux sont supraconducteurs à
des températures plus hautes que celles généralement observées en présence
de propriétés supraconductrices. «Nous venons de fouler une terre inconnue.
Pour comprendre la supraconductivité à haute température, nous devons
explorer ce territoire.»
Et c'est bien ce que compte faire Christian Lupien. Au cours des mois à
venir, il visitera d'autres matériaux membres des supraconducteurs à haute
température critique. «J'espère bien observer d'autres réorganisations des
électrons!» Avec son arrivée, le Département de physique peut compter sur un
tout nouveau laboratoire, le Laboratoire de microscopie à effet tunnel à
très basse température. Christian Lupien aura à nouveau l'occasion de
travailler auprès de son collègue Louis Taillefer, ravi de retrouver son
ancien étudiant. «Christian est un physicien génial. Il possède une maîtrise
étonnante de toute les facettes de l'expérimentation, confie Louis Taillefer.
Ses connaissances en microscopie à effet tunnel appliquée aux propriétés
électroniques des matériaux constituent une expertise rare au Canada. C'est
un maître de l'expérimentation qui vient de se joindre à nous.»
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Le physicien Christian Lupien étudie des matériaux membres des
supraconducteurs à haute température critique.
Photo SSF : Roger Lafontaine
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