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Liaison, 27 janvier 2005
Entre la levure et l'humain
SOPHIE PAYEUR
Luc Gaudreau jette son dévolu sur tout ce qui bouge. Des bactéries de son
laboratoire à ses chiens dans la forêt, le biologiste ne pose qu'une
condition à ses passions : être du règne du vivant.
«Mon père était enseignant en biologie et moi, tout ce qui m'intéressait,
c'était la nature.» Après un passage de quatre ans à l'Université Harvard,
le biologiste décide de s'installer à Sherbrooke. Depuis 1998, Luc Gaudreau
supervise des travaux qui promettent de retenir l'attention dans plusieurs
secteurs des sciences de la vie. Chez lui, il a fondé une véritable
communauté de chiens nordiques. Ceux-ci n'attendent que l'hiver pour
parcourir le Québec avec leur maître impatient de les retrouver.
À seulement 37 ans, Luc Gaudreau est titulaire de la Chaire de recherche
du Canada sur les mécanismes de transcription génique et assure la direction
du Centre de recherche sur les mécanismes du fonctionnement cellulaire de
l'Université de Sherbrooke. Des termes un peu énigmatiques qu'il résume en
quelques mots : «Je m'intéresse aux façons dont le bagage génétique se
transmet ou s'exprime dans un organisme. Comment les gènes s'expriment-ils?
Quelle est l'étendue de leur expression et par quels chemins surviennent les
erreurs? Mes projets portent sur ces questions.»
Son équipe a mis en lumière un important mécanisme d'action du BRCA1, un
gène suppresseur de tumeurs qui protège du cancer du sein et des ovaires. On
trouve des mutations de ce gène dans 45 % des cas de cancer du sein
d'origine héréditaire. Au cours des derniers mois, l'équipe de Luc Gaudreau
a démontré que la protéine codée par BRCA1 peut agir directement sur la
machinerie moléculaire responsable de la transcription génique, un groupe
d'une soixantaine de protéines. Or, cette découverte diffère
considérablement des mécanismes classiques de transcription observés
jusqu'ici. «Cette percée ouvre une fenêtre par laquelle les chercheurs ne
regardaient pas auparavant. Non seulement ce mécanisme peut être une cible
thérapeutique intéressante, mais il peut aussi nous aider à mieux comprendre
le cancer du sein ainsi que d'autres maladies.» Ces résultats ont récemment
été publiés dans la revue Molecular and Cellular Biology, une des
plus citées dans le domaine.
À ce chapitre, Luc Gaudreau assure qu'il n'éprouve aucune réticence à
parler de ses travaux, publiés ou pas. Une attitude plutôt rare dans ce
monde où les chercheurs sont contraints de protéger la confidentialité de
leurs données jusqu'à publication. Les revues scientifiques s'assurent ainsi
l'exclusivité et les auteurs conservent la brevetabilité des résultats.
«J'ai horreur de ça, clame-t-il. Cette attitude protectionniste n'a pas sa
place en science. Le travail des scientifiques est de produire et de
partager un savoir pour permettre à ceux qui en ont besoin de s'en servir.
En lieu et place de cela, les compagnies pharmaceutiques, les industriels et
quelques individus se remplissent les poches. C'est contre la nature même de
la science.»
Accro à son travail, Luc Gaudreau l'est tout autant à son traîneau à
chiens. Tel la fourmi ayant travaillé tout l'été, le chercheur prend ses
vacances l'hiver. Avec ses neuf chiens malamutes et huskies, il tire le
meilleur de la saison froide agrippé à son traîneau. En compagnie d'un ami,
il prépare une expédition de trois semaines en février : à partir de
Natashquan, les deux aventuriers parcourront 800 km. Un projet qui exige
plusieurs heures d'entraînement, compte tenu notamment qu'il faut prévoir
des charges de plus de 200 kilos. «Mon rêve est de traverser le Labrador.
J'effectuerais une collecte de fonds destinée à la recherche sur le cancer.»
En attendant, le chercheur ne perd pas de temps. Il profite souvent de la
nuit pour s'élancer en forêt avec ses chiens.
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Le biologiste Luc Gaudreau |