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Liaison, 27 janvier 2005
Apprendre des erreurs médicales
pour améliorer la qualité des soins
STÉPHANIE RAYMOND
La médecine n'est pas qu'une science, c'est aussi un art. Et qui dit art
dit faillibilité. C'est pour réduire au minimum le nombre d'erreurs
médicales au CHUS que le chirurgien et professeur Marcel Martin a développé
les ateliers Morbidité et Mortalité (M & M) multidisciplinaires. Cette
approche unique au Québec fonctionne tellement bien que son expertise a été
requise en France en décembre dernier.
Selon Marcel Martin, 98 % des décisions médicales sont basées sur
l'expérience : «Il y a donc toujours un doute. Il existe aussi plusieurs
écoles de pensée qui prônent des options différentes. Mais je ferais presque
l'éloge de l'incertitude, car on apprend beaucoup plus de nos erreurs que de
nos bons coups.» Erreurs techniques, administratives, de posologie, de
jugement, de nursing, les risques sont nombreux. «Il est donc très utile de
disséquer les décisions prises lors d'une intervention médicale quelques
jours après celle-ci, explique le professeur. Le contexte, les
caractéristiques du patient (âge, maladie préexistante, etc.) et d'autres
éléments sont pris en compte.»
La nouveauté amenée par Marcel Martin est de faire participer tous les
intervenants (résidants en médecine, médecins internes, infirmiers,
inhalothérapeutes, nutritionnistes, etc.) aux ateliers M & M du CHUS, qui
ont lieu une fois par semaine. «Avant, les ateliers ne rassemblaient que les
médecins, souligne le chirurgien. Mais la vérité sort plus facilement
lorsque l'équipe est multidisciplinaire.»
Les ateliers sont des facteurs de changement et d'amélioration continue
de la qualité, car ils permettent de ne pas répéter les mêmes erreurs. «Ce
n'est pas toujours évident de reconnaître ses erreurs, affirme Marcel
Martin. Mais il ne faut pas se cacher la tête dans le sable. Et si on veut
se former une opinion d'un milieu hospitalier, il suffit d'assister à un
atelier M & M. Le sérieux qu'on y met renseigne sur le sérieux de
l'établissement.»
Expertise exportée
Cette culture des «ateliers d'autocritique» provient des États-Unis, où
Marcel Martin a habité pendant 18 ans. On compte dans ce pays 98 000 décès
chaque année dus à des erreurs médicales. La tendance commence tout juste à
se répandre en Europe. «J'ai été demandé à Amiens et à Montpellier pour
donner un premier atelier M & M, indique le spécialiste. Nous tenons
maintenant deux fois par mois un atelier avec Montpellier diffusé en
vidéoconférence, en alternant les ateliers qui ont lieu là-bas et ceux qui
se passent ici. J'ai l'impression que les pratiques vont changer d'ici
quelques mois.»
Un concept tout nouveau au Québec sera de plus mis sur pied en février.
«Une caméra sera installée à l'urgence de Saint-Jean-d'Iberville. Lorsqu'une
réanimation sera faite sur un patient, le personnel de l'hôpital va nous
appeler, et nous démarrerons la caméra pour voir ce qu'ils font», explique
le chirurgien. Les images seront transmises à tout le réseau universitaire
intégré de santé de la région, donc aux urgences de Sherbrooke, de Mégantic
et de Saint-Hyacinthe. «Nous pourrons ainsi voir s'il y a des déviations
dans la pratique, poursuit-il. Si c'est le cas, nous allons, dans les jours
qui vont suivre, déplacer dans ces urgences un laboratoire de simulation et
des cadavres, et faire un atelier M & M. Puis nous continuerons de suivre
les opérations du personnel médical pour voir s'il y a amélioration lors des
réanimations suivantes.»
Marcel Martin conduit également d'autres ateliers M & M au Québec, sur
place ou par vidéoconférence. «On a passé un an à étudier le contexte de
l'écrasement des avions dans le World Trade Centre de New York; ce n'est pas
trop que de passer une heure par semaine à disséquer nos décisions
médicales. Ce n'est pas pour rien d'ailleurs si le CHUS a atteint un tel
niveau de qualité des soins : c'est parce qu'on se regarde agir», conclut
Marcel Martin.
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