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Liaison, 13 janvier 2005
Jean Lessard, le vert chimiste
SOPHIE PAYEUR
Jean Lessard aurait pu être pianiste ou physicien. La vie l'a plutôt
conduit à la chimie. Reconnus à travers le monde, ses travaux de chimiste
organicien donnent une belle couleur à cette discipline mal aimée des
environnementalistes : le vert!
Séduit très jeune par les sciences, Jean Lessard nourrissait également
une passion sans bornes pour le piano. Un bête accident à la main décidera
abruptement de son parcours. «J'ai dû me résoudre à laisser tomber la
musique. J'ai choisi la chimie, et je ne m'en porte pas plus mal pour
autant!»
Reconnu pour ses travaux en chimie des radicaux et ses recherches en
électrochimie, Jean Lessard est captivé par les possibilités de l'hydrogène.
Mais cette source d'énergie pose d'importants défis en termes de production,
de stockage et d'utilisation. Le chimiste décide donc de prendre part au
grand chantier de l'hydrogène. Dans des matériaux poreux, il combine des
substances organiques à des atomes d'hydrogène obtenus à partir de l'eau par
électrochimie. «Le but est de régénérer l'hydrogène sur place. Cette méthode
dite d'hydrogénation électrocatalytique est beaucoup moins polluante et
évite de manipuler l'hydrogène en bonbonnes ou sous forme liquide», précise
le chercheur. Or, c'est précisément ce qui motive Jean Lessard : mettre au
point des procédés de chimie verte (voir encadré «Qu'est-ce que la chimie
verte?»), qui ont recours à des matériaux renouvelables et qui préviennent
l'émission de polluants.
«Oui, l'industrie chimique est une industrie polluante, basée en grande
partie sur des ressources non renouvelables, admet Jean Lessard. Mais nous
sommes habillés, nourris, soignés, nettoyés et transportés par les produits
de cette industrie. Les solutions doivent donc passer par la chimie, c'est
inévitable.» La méthode développée par le chimiste peut aussi être utilisée
pour synthétiser, dans l'eau, des molécules utiles, notamment pour des
applications médicales. Elle élimine le recours aux solvants et aux réactifs
nocifs pour l'environnement.
En 2002, Jean Lessard s'est vu remettre la médaille de la section
canadienne de l'Electrochemical Society, son prix le plus prestigieux. Ses
travaux pionniers en hydrogénation électrocatalytique lui ont aussi valu,
en 2004, le Murray Raney Award de l'Organic Reactions Catalysis Society.
Cette importante récompense est attribuée tous les deux ans à l'échelle
mondiale.
Malgré ces reconnaissances, Jean Lessard traîne une grande déception.
Avec l'instigateur de la chimie verte au Canada, son collègue Hak-Tang Chan
de l'Université McGill, Jean Lessard tente depuis 2000 de créer un réseau
québécois de chimie verte. Ce réseau servirait à coordonner et à financer le
développement de procédés verts. «Sur les 80 chercheurs qui s'intéressent à
la chimie verte au Canada, plus du tiers se trouvent au Québec. Notre
province peut être leader dans ce secteur émergent.»
Malheureusement, les organismes subventionnaires ne voient pas les choses
du même œil. Le projet audacieux de Jean Lessard et de ses collègues peine à
franchir les barrières traditionnelles.
Pourtant, les possibilités se multiplient. L'industrie chimique manifeste
une prise de conscience : pour répondre aux exigences d'un développement
durable, elle constate qu'elle doit développer des procédés propres. «En
modifiant leurs façons de faire, l'industrie pharmaceutique et l'industrie
du nettoyage à sec ont éliminé leurs émissions toxiques de manière très
significative (voir encadré «En route vers la chimie verte»), indique Jean
Lessard. Au cours des dernières années, la chimie a mis au point plusieurs
nouveaux solvants non polluants. Désormais, la chimie n'est plus seulement
appelée à dépolluer : son rôle est de produire sans polluer.»
Qu'est-ce que la chimie verte?
Âgée d'une dizaine d'années à peine, la chimie verte consiste à
concevoir des produits chimiques non nocifs, des réactions et des
procédés chimiques qui ne polluent pas. Ces réactions et ces procédés
verts permettent d'éliminer ou de réduire considérablement
l'utilisation, la production et l'entreposage de substances nocives et
dangereuses. Cette chimie implique notamment l'utilisation de matière
première renouvelable et non toxique, le recours à des solvants non
polluants et non toxiques, une consommation minimale d'énergie et
l'utilisation d'énergie renouvelable. Menées en grande partie aux
États-Unis, les recherches en chimie verte sont aussi effectuées au
Canada et, plus récemment, en Angleterre et en Amérique du Sud. À défaut
d'avoir sa propre association, le Canada adhère à l'Institut de chimie
verte des États-Unis. |
En route vers la chimie verte
L'entreprise Pfizer, qui produit le très populaire Viagra, est un
exemple particulièrement évocateur du tournant emprunté par l'industrie.
En 1990, les déchets toxiques générés pour produire un kilogramme de
Viagra atteignaient 600 kg. Depuis, la compagnie a modifié ses procédés
de synthèse. Aujourd'hui, la production d'un kilo de Viagra n'entraîne
plus que trois livres de déchets. La compagnie a reçu en 2003 le prix
britannique de Technologie de chimie verte, catégorie meilleur procédé,
pour cet effort environnemental.
De leur côté, les entreprises de nettoyage à sec délaissent le
tétrachloro-éthylène, un solvant synthétique hautement polluant, et
optent pour des solvants non nocifs tels que le dioxyde de carbone à
l'état super critique. «À une certaine pression et à une certaine
température, le dioxyde de carbone devient un très bon solvant, explique
Jean Lessard. C'est une façon de recycler cet important gaz à effet de
serre.» |
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Jean Lessard est reconnu à travers le monde pour ses travaux en
chimie organique.
Photo : Roger Lafontaine |