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Liaison, 25 novembre 2004
Une journée en compagnie de géopoètes
8 h 15, samedi matin, je file sur la route 220. À l'invitation
d'Hélène Guy, professeure de littérature à la Faculté d'éducation, je
chemine vers le centre de villégiature Jouvence où, le temps d'un week-end,
se sont donné rendez-vous les membres de l'Atelier québécois de géopoétique
dont elle fait partie. Aux abords du lac Stukely, dans un refuge baptisé le
Hors-piste, des artistes, des géographes, des littéraires, des
scientifiques, universitaires et non universitaires, réfléchissent sur les
rapports que l'humain entretient avec la terre, sur les plans sensible,
intellectuel et expressif. Pour m'y rendre, je dois emprunter un sentier qui
longe le lac. Les arbres sont magnifiques, gigantesques. L'air est frais. Le
soleil prend ses aises. La journée sera belle.
CHARLES VINCENT
Sur place, je découvre une vingtaine de personnes fort sympathiques.
Arrivées la veille, elles viennent à peine de se lever. L'heure est au
déjeuner. Entre le café, les toasts et les œufs, on discute
tranquillement des ateliers de la journée. Le menu capte mon intérêt.
D'abord, une causerie animée par le médecin et écrivain Jean Désy. Le point
de départ est son ouvrage Du fond de ma cabane. Éloge de la forêt et du
sacré (XYZ), mais il est convenu que la discussion porte sur l'approche
géopoétique du refuge. En après-midi, une expédition en nature est prévue,
suivie d'une présentation sur l'expédition cinématographique du trimaran
Rackam et, en soirée, de l'élaboration d'une sculpture de feu sur le lac
et de prestations d'une conteuse et d'un musicien.
Autour du campe
Après un tour de table, il est décidé que la causerie avec Jean Désy aura
lieu dehors, près du lac. Le fond de l'air est frisquet, mais le soleil et
le feu nous réchauffent peu à peu. L'auteur raconte ses expériences comme
«médecin de brousse» sur la Côte-Nord, son contact avec ce coin de pays, ses
rapports avec les Nord-Côtiers, Blancs et Amérindiens. Mais l'essentiel de
son propos porte sur les «cabanes de nomades», ces constructions
rudimentaires indispensables à la vie dans les régions reculées du Québec.
C'est là où, en pleine tempête, les voyageurs mal pris se réfugient. C'est
dans ces cabanes dont les portes ne sont jamais verrouillées qu'ils trouvent
de quoi se faire du feu, dormir à l'abri et, s'ils sont chanceux, une
canne de soupe ou de binnes.
«Le campe du nomade appartient à celui qui l'a édifié et
appartient en même temps à tout visiteur qui passe et qui en a besoin»,
écrit Jean Désy dans son livre. Autrement dit, «il doit être ouvert, solide,
étanche et accessible», comme il le précisera dans sa présentation. Ces
constructions renvoient à l'univers du nomadisme, davantage répandu dans le
Grand Nord que dans la vallée du Saint-Laurent. Elles renvoient également à
un mode d'appropriation du territoire bien différent de celui que l'on
connaît dans la plupart des sociétés occidentales. «Un genre de socialisme
du bois», résumera Jean Déry dont la présentation débouchera finalement sur
les vertus de la simplicité volontaire comme moyen d'entrer respectueusement
en rapport avec la terre.
Sur la trace des fous de Bassan
Après le dîner, le sculpteur André Fournelle, assisté de Diane Caron et
de ses comparses, s'attellent à réalisation de la sculpture de feu, qui aura
lieu une fois la nuit tombée, tandis qu'une équipée se prépare à traverser
le lac en canot. Je me joins au second groupe. Une rendus sur l'autre rive,
nous empruntons un sentier qui nous mènera au refuge de la Sarracénie et à
l'étang de la Castorie, au pied du mont Chauve. Sur le chemin, les
conversations se nouent et se dénouent au gré de nos pas. Il est question de
géopoétique, bien sûr, mais aussi de projets d'écriture et de recherche. La
plupart des membres du groupe se connaissent depuis longtemps et n'en sont
pas à leur première aventure de ce type. Nombreux sont également ceux qui
fréquentent la forêt sur une base régulière. Des pistes attirent notre
attention. Chevreuil ou orignal? La question restera en suspens.
De retour au refuge, on se prépare pour la deuxième discussion. Elle
porte sur l'expédition réalisée l'été dernier sur le Saint-Laurent par des
étudiantes et étudiants de l'Université. Le projet s'appelait l'Odyssée de
Rackam. Je vous en ai plusieurs fois parlé dans Liaison (vol. XXXVIII,
no 17, notamment). Les cinq
étudiants devaient construire leur voilier et relier Québec aux îles de
Mingan en un peu moins d'un mois, tout en réalisant un court-métrage de
fiction sur leur expédition. La «défection» d'une partie de l'équipage a
forcé les deux étudiants qui sont restés à modifier l'itinéraire. Mathieu
Chagnon, le capitaine du Rackam, nous parle de son expérience, des
conclusions qu'il a tirées de cette aventure et de sa nouvelle façon de voir
son rapport à la terre, à la vie.
La soirée s'ouvre avec la sculpture d'André Fournelle. Sur l'eau, la
«ligne de feu» installée pendant l'après-midi. Avant qu'elle ne s'embrase,
nous nous rassemblons, en canot, autour de chacune des trois bornes qui
forment l'«alignement», pour entendre la lecture d'un texte. Chacune de ces
bornes symbolise l'un des trois pays où se déroulent chaque année la
nidification des fous de Bassan, soit l'Écosse, la Bretagne et le Québec. La
ligne rappelle aussi l'univers de la géopoétique. L'Écosse est le pays natal
du fondateur de la géopoétique, Kenneth White, la Bretagne, l'endroit où a
eu lieu le dernier colloque auquel a participé le groupe québécois et,
finalement, le Québec, la terre d'accueil du seul groupe de géopoétique en
Amérique du Nord.
Plus tard, on se rassemble au coin du feu pour entendre Petronella Van
Dijk. Conteuse de profession, elle nous propose un vieux conte breton,
intitulé La vieille femme et le loup. Le groupe en redemande. On a
droit cette fois à un conte chinois. Aurian Haller, un
auteur-compositeur-interpète d'origine britanno-colombienne, prend le
relais. Seul avec sa guitare, il nous offre quelques-unes de ses chansons.
L'auditoire est conquis. La journée s'achève. À tout le moins pour moi. Je
salue mes hôtes. Les remercie pour l'accueil chaleureux dont ils ont fait
preuve. La nuit est noire. Complètement noire. Il pleut. Ce qui tombe sur ma
tête est plus près du frasil que de la pluie. La forêt est superbe. Le
sentier est magique.
Le groupe de géopoétique québécois, baptisé La
Traversée – Atelier québécois de géopoétique, est dirigé par les
professeurs Rachel Bouvet (UQAM), Hélène Guy (UdeS) et Éric Waddell (ULaval).
Il bénéficie d'une subvention CRSH, volet Initiative de développement de
la recherche. Pour plus d'information, contacter Hélène Guy
(Helene.Guy@USherbrooke.ca). |
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André Carpentier, écrivain et professeur de littérature à l'UQAM, et
Diane Caron, artiste multidisciplinaire et enseignante à l'école
Saint-Patrice (Magog), lors de la causerie consacrée à l'approche
géopoétique du refuge.
Photos : Charles Vincent
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