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Liaison, 11 novembre 2004
L'édition littéraire en crise au Québec
Spécialiste invité : JACQUES MICHON, professeur de littérature et
membre du Groupe de recherche sur l'édition littéraire au Québec
Question : Les éditeurs québécois éprouvent des difficultés
financières depuis quelque temps. Quelle est la situation exacte?
Le rapport États des lieux du livre et des bibliothèques publié au
début du mois d'octobre par l'Observatoire de la culture et des
communications du Québec, avec la collaboration de la Bibliothèque nationale
du Québec, décrit une situation plutôt inquiétante. Depuis une dizaine
d'années, sur le plan économique, la position des éditeurs québécois
n'aurait pas cessé de se détériorer. En effet, depuis 1993, tous les
indicateurs économiques sont à la baisse : baisse relative des ventes, des
revenus et des marges bénéficiaires. Il faut toutefois ajouter que les
éditeurs agréés, c'est-à-dire ceux qui sont éligibles aux subventions
gouvernementales, s'en sortent mieux que les autres. Les subventions
viennent souvent compenser les pertes et permettent aux entreprises agréées
de joindre les deux bouts. Si les auteurs du rapport constatent que les
subventions remplissent bien leur rôle notamment en favorisant la vente de
livres, ils concluent que ce modèle de développement semble avoir atteint
les limites de ses possibilités.
Q : Comment expliquer cette baisse de profits?
Le nombre de titres publiés par les éditeurs ne cesse de croître, alors
que les tirages, eux, diminuent constamment. Cette réalité n'est pas propre
au Québec, elle constitue une tendance lourde de l'édition dans le monde
depuis plusieurs années. On pourrait sans doute trouver une explication dans
le changement des habitudes de lecture et de loisir de la population. Il
semble que le temps de lecture des individus soit de plus en plus court. La
concurrence de la télévision et d'Internet au chapitre du divertissement et
de l'information constitue sans doute une partie de l'explication. Mais
d'autres facteurs plus circonstanciels peuvent être invoqués, comme les
coupes de subventions consacrées au livre et à l'édition. En effectuant des
coupes dans le budget de la SODEC, le gouvernement de Jean Charest a rendu
la situation encore plus difficile. C'est toute la chaîne du livre qui a été
affectée par ces mesures régressives. La revue Le Libraire se
demandait au printemps 2004 si le gouvernement ne programmait pas lui-même
la crise. De plus, le gouvernement n'a pas donné suite au projet de
l'administration précédente qui prévoyait de nouvelles ressources pour les
bibliothèques publiques et scolaires. Si, à cela, on ajoute l'indifférence
des médias électroniques et notamment de la télévision à l'égard du livre,
on obtient un portrait peu réjouissant. On sait en effet que Radio-Canada et
Télé-Québec ont fait disparaître leurs émissions littéraires qui faisaient
la promotion du livre et de la littérature sur les ondes publiques.
Q : Est-ce un danger pour la qualité de la littérature au Québec?
Pour contrer le fléchissement des ventes par titre, les éditeurs ont eu
tendance ces dernières années à publier plus de livres différents, dans
l'espoir sans doute de décrocher le best-seller qui renflouerait les
coffres. La diversification de la production a été l'une des réponses de
l'industrie à la chute des tirages. Cette stratégie a favorisé le
développement de nouveaux secteurs de production qui étaient autrefois la
chasse gardée des entreprises étrangères. Aujourd'hui au Québec, on publie
des guides touristiques, des dictionnaires, des albums pour enfants, des
livres d'art, des collections de science-fiction et des romans policiers qui
soutiennent bien la concurrence des produits étrangers de même catégorie.
Autrefois on devait importer ce type d'ouvrages, aujourd'hui l'édition
québécoise les produit elle-même. Les chiffres fournis par l'Observatoire de
la culture et des communications pourraient illustrer cette nouvelle
réalité. En effet, on y apprend que la part de marché des livres québécois
sur son propre territoire a augmenté de manière sensible au cours des
dernières années, ce que l'Association nationale des éditeurs de livres
interprète comme le résultat d'une diminution des importations étrangères.
Q : Quelles seraient les solutions à cette crise?
L'abolition des coupes des subventions à la SODEC. Une meilleure
diffusion de l'information littéraire sur les ondes publiques. Une
augmentation des ressources consacrées aux bibliothèques publiques et
scolaires.
Q : Comment peut-on envisager l'avenir de l'édition au Québec?
Dans l'ensemble, le monde du livre est en bonne santé. L'édition
québécoise a déjà connu des temps plus difficiles. Aujourd'hui, tous les
acteurs de la chaîne du livre sont bien en selle. Il faut tout simplement ne
pas lui couper l'oxygène. Il faut trouver le moyen de toucher un plus grand
nombre de lecteurs, en les formant et en les informant.
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Jacques Michon, professeur au Département des lettres et
communications.
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