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Le plaisir de se casser la tête
SOPHIE PAYEUR
Ils cherchent les situations où le risque d’échec est à son plus haut.
Carburant à l’adrénaline, ils campent aux abords de l’inconnu, les yeux
grands ouverts sur le vide. Des adeptes des sports extrêmes? Non : des
mordus d’énigmes et autres «tortures» intellectuelles. Après les Jeux
olympiques d’Athènes, voici les Olympiades mathématiques!
Étudiant à la maîtrise en mathématiques, Sylvain Bérubé adore se casser
la tête. Cet amour pour les beaux problèmes lui vient de loin. Pendant que
certains s’adonnent à leur sport favori, Sylvain, lui, court les concours de
performance intellectuelle, et ce depuis des années, comme bien d’autres
étudiants et apprentis mathématiciens. «Les jeux mathématiques, c’est comme
le jogging : à force d’en faire, tu deviens accro!» Quand Sylvain résout ses
énigmes, il dit éprouver la même montée d’adrénaline qu’un adepte du saut en
bungee ou en parachute. Et ce n’est pas qu’une façon de parler, confirme la
biochimiste Mylène Côté. «En état de stress intense, le corps sécrète de
l’adrénaline. Cette hormone aiguise les fonctions intellectuelles, mais elle
procure aussi un état de jouissance. C’est exactement l’effet recherché par
les amateurs de sensations fortes.»
Son ami et collègue Anik Trahan partage la même dépendance pour les
colles intellectuelles extrêmes. Ensemble, ils ont créé le Factoriel!, un
site Internet qui propose des énigmes mathématiques tout à fait originales.
Anik et Sylvain se sont rencontrés, alors qu’ils étudiaient au cégep, lors
d’un concours de l’Association mathématique du Québec (AMQ). Ils ont réussi
à se classer parmi les 25 premiers. Le prix : un camp mathématique de deux
semaines animé par des mathématiciens diplômés et des professeurs de partout
au Québec. «C’est vrai qu’on a gagné, dit Anik Trahan. Mais on a surtout
gagné beaucoup d’humilité : on s’est vite aperçus qu’il y en avait de bien
plus forts que nous.» Anik et Sylvain sont également d’anciens lauréats
provinciaux du Championnat international des jeux mathématiques et logiques
(CIJML), une compétition européenne ouverte à la francophonie.
Coureurs de fond
Si les énigmes, les casse-tête mathématiques et autres épreuves de
logique exercent un magnétisme fou chez certains, le but premier de
l’exercice n’est pas toujours de gagner. Ce qui les pique, c’est le goût du
défi, comme en témoigne Sébastien Labbé, étudiant au baccalauréat en
mathématiques qui a, lui aussi, participé au CIJML et remporté une place au
camp mathématique de l’AMQ. «C’est une façon de se mesurer aux autres.
J’aime la compétition, c’est elle qui fait que je suis plus fort dans les
cours!» Sébastien a aussi fait bonne figure lors de compétitions organisées
par l’American Mathematics Competitions, auxquelles participent, bon an mal
an, quelque 300 Québécois.
Parmi les nombreuses compétitions qui s’offrent aux amateurs, la plus
redoutable et la plus recherchée est sans nul doute le fameux Putnam.
Instauré en 1938, le très musclé concours annuel s’adresse aux étudiantes et
étudiants nord-américains des collèges ou du premier cycle universitaire.
Administrée par la Mathematical Association of America, l’épreuve, d’une
durée de deux fois trois heures, se déroule sous haute surveillance. Chaque
année, plus de 3000 participants se soumettent à ses douze terribles
questions. Il leur faut non seulement trouver la réponse exacte, mais
fournir aussi la démarche qui a conduit au résultat. Une épreuve au terme de
laquelle la plupart s’en sortent bredouilles, sans amasser le moindre point.
Charles Paquette compte parmi les rares élus. Étudiant à la maîtrise en
mathématiques, il a réussi à gagner 18 points sur 120 lors du prestigieux
concours. Figurant parmi les 500 meilleurs, il représentait l’Université en
compagnie de ses comparses Sébastien Labbé et Jean-Philippe Morin, qui ont
également réussi à se tailler une place enviable. «Chaque question est un
mini-problème de recherche, raconte Charles Paquette. Après cette journée,
on est épuisé!» Et ce même s’ils ont investi des dizaines d’heures de
préparation pendant la session.
Le véritable problème auquel sont confrontés les participants au Putman
n’est pas celui inscrit sur la copie de l’épreuve. Toute la difficulté
consiste à répondre à la question suivante : comment poser le problème?
«Faire le Putnam exerce l’intuition, explique Jean-Philippe Morin. Il y a
souvent plusieurs façons de résoudre un même problème. Il faut voir les
choses autrement et changer de perspective plusieurs fois.»
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