Les travaux du professeur de chimie Patrick Ayotte
Percer le mystère à la surface des glaces
SOPHIE PAYEUR
Il parle presque aussi vite que les idées qui se bousculent dans son
esprit. Et des idées, il s'en brasse dans la tête de ce jeune chercheur.
Diplômé de l'Université de Sherbrooke, Patrick Ayotte est parti faire son
doctorat en chimie en 1995 à l'Université Yale. Après six années passées aux
États-Unis, le scientifique décide de revenir à ses anciennes amours, les
Cantons de l'Est. Aujourd'hui professeur au Département de chimie, il
observe d'étranges phénomènes à la surface de la glace. Même si ses deux
pieds sont bien ancrés dans le plancher des vaches, ce chercheur a une
partie de son cerveau résolument tournée vers le ciel.
Plus précisément, son attention est tournée vers les nuages de la haute
stratosphère, à quelque 25 km de la Terre. Il est convaincu que les cristaux
de glace qui forment ces nuages pourraient nous en révéler un peu plus sur
l'amincissement de la couche d'ozone, cette enveloppe qui nous protège du
rayonnement ultraviolet.
On sait déjà que le chlore contenu dans les CFC, jadis très utilisés
comme réfrigérants, est l'un des principaux destructeurs du précieux gaz.
Sous l'action des rayons du soleil, le chlore entraîne la destruction de
l'ozone. «L'appauvrissement de l'ozone est plus marqué au-dessus de
l'Arctique et de l'Antarctique, rappelle Patrick Ayotte. Curieusement, on a
remarqué que le chlore s'accumule dans la haute atmosphère pendant la longue
nuit polaire de six mois…» Et c'est précisément ce qui préoccupe le
chercheur. Il pense que la surface des particules de glace atmosphérique
agirait comme une trappe où s'accumulent par masse les éléments qui
enclenchent l'amincissement de l'ozone. Ainsi, lorsque les rayons du soleil
reviennent au printemps polaire, la glace se transformerait en une puissante
usine flottante de destruction de l'ozone. Le hic, c'est qu'on sait peu de
choses des procédés chimiques impliqués. «Et ça, c'est une grave lacune à
notre compréhension de la chimie de l'atmosphère!» Spécialiste de la chimie
des surfaces, Patrick Ayotte compte bien lever le voile sur les mystères qui
dorment à la surface de la glace atmosphérique.
La glace comme laboratoire
Les observations effectuées patiemment sur le terrain par les
glaciologues, les géographes et les chimistes de l'atmosphère constituent la
matière première du travail de Patrick Ayotte. Les carottes – ou
échantillons – de glace forée dans les calottes glacières du Groenland et de
l'Antarctique s'avèrent d'une grande utilité pour analyser la composition de
l'atmosphère des 400 000 dernières années. «Les échanges chimiques entre les
cristaux de glace et les gaz de la haute stratosphère se produisent aussi au
niveau du sol, entre le couvert neigeux et la très basse atmosphère. Les
carottes de glace nous renseignent sur les changements de la composition de
l'atmosphère à travers le temps.»
Ces précieux indices révèlent aussi une foule de renseignements sur le
rôle de la glace dans notre environnement. «C'est un substrat qui catalyse
une multitude de réactions, raconte Patrick Ayotte. Supposons une molécule
chlorée, l'acide chlorhydrique (HCl). Que se passe-t-il lorsque l'HCl sous
forme de gaz rencontre une particule de glace? La molécule retourne-t-elle
tout simplement dans l'atmosphère après la collision ou, au contraire,
est-elle retenue sur la glace? Si tel est le cas, son interaction avec la
glace peut avoir un impact sur l'ozone.» En effet, la «rencontre» du chlore
avec des cristaux de glace peut entraîner sa dissociation, qui résultera en
H+ et Cl-. «Sous cette forme atomique (Cl-), le chlore est peut-être la
bougie d'allumage de la chaîne de réactions qui mène à la destruction de
l'ozone.» Cette cascade de réactions est fatale pour l'ozone : un seul atome
de chlore est capable de détruire plus de 100 000 molécules d'ozone.
«Les molécules peuvent aussi entrer dans la glace. Or, la vitesse à
laquelle les molécules pénètrent influence aussi les réactions chimiques à
la surface. Somme toute, la glace constitue un formidable piège à
molécules!» Dans son Laboratoire de cinétique et dynamique sur les glaces,
Patrick Ayotte tente de reproduire toute la gamme de ces réactions. Aidée de
technologies de pointe, son équipe reconstitue les surfaces de glace ainsi
que les molécules qui y interagissent dans la haute atmosphère.
Leurs recherches constituent d'ailleurs un des efforts les plus intenses
destinés à comprendre le comportement physicochimique des éléments sur le
dessus et à l'intérieur des glaces. Repris par les chimistes de
l'atmosphère, les travaux de Patrick Ayotte pourraient aider à prédire le
comportement de l'ozone de manière plus réaliste. Préoccupé par l'état de
l'environnement, le jeune chercheur pense qu'il faut comprendre les
mécanismes des phénomènes observés avant de mettre en place des mesures
complexes et coûteuses visant à réduire les effets de l'homme. «Bien des
théories n'ont pas encore été vérifiées, précise-t-il. Le but de mes travaux
n'est pas de confirmer des hypothèses, mais de donner l'heure juste sur un
système environnemental.»
Retour à la une |