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Liaison, 8 avril 2004 

L'intervention auprès des personnes âgées maltraitées

Un manque cruel de repères éthiques

Madeleine a 70 ans. Elle vit depuis plusieurs années avec son fils André, un quadragénaire toxicomane aux prises avec des problèmes financiers récurrents. André profite des largesses pécuniaires de sa mère pour se «renflouer», tandis que la mère compte sur lui pour les courses et les travaux domestiques. Depuis peu, le fragile équilibre de leur relation est mis en péril par le fait qu'André subtilise de l'argent dans le compte de sa mère, qu'il est de plus en plus négligent et qu'il s'en prend physiquement à elle lorsqu'il est «en manque». Cette situation, bien que fictive, reflète le quotidien des intervenants psychosociaux auprès des personnes âgées maltraitées. Qu'ils soient travailleurs sociaux, infirmiers ou psychologues, ces derniers sont aux prises avec des situations complexes, qui génèrent d'importantes questions éthiques et charrient leur lot de frustrations.

CHARLES VINCENT

Selon une enquête récente, il y aurait au Canada 270 000 aînés maltraités. Comme, au Québec, il n'existe aucune loi les protégeant, aucune balise éthique, il n'est pas toujours facile pour les intervenants d'aider adéquatement ces victimes. À dire vrai, les intervenants oeuvrant dans le domaine des soins aux personnes âgées maltraitées se sentent parfois livrés à eux-mêmes. Partant de ce constat, la professeure de psychologie Marie Beaulieu, chercheuse au Centre de recherche sur le vieillissement, a souhaité comprendre les enjeux psychosociaux et éthiques rencontrés par ces intervenants. Bénéficiant d'une subvention de recherche du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, la professeure a rencontré 16 praticiens œuvrant dans le domaine des soins et des services sociaux apportés aux aînés victimes de violence ou de négligence. Les résultats de son enquête sont troublants.

Composer avec le dilemme

D'abord, un premier constat : le dépistage des cas de maltraitance est difficile. Nombreuses sont les victimes qui préfèrent taire leur problème. Une situation qui est d'autant plus lourde de conséquences qu'il est ardu pour les intervenants de pénétrer les milieux où s'exercent les mauvais traitements, notamment parce qu'ils sont souvent perçus par les proches ou les victimes comme une menace. Qui plus est, une fois la victime identifiée, il n'est pas toujours aisé pour les intervenants de déterminer l'urgence et la dangerosité de la situation ou encore la vulnérabilité de la personne, son aptitude à prendre des décisions et ses capacités à se prendre en charge. Une situation qui peut se comprendre par le fait que les aspects plus pathologiques du vieillissement s'opèrent tranquillement et se mesurent difficilement.

Choisir la bonne solution n'est pas non plus une mince affaire. Entre les mesures «douces» et les mesures «extrêmes», l'intervenant doit faire le bon choix. Il devra déterminer s'il priorisera le respect de l'autonomie ou la protection de la victime, un dilemme qui, dans certains cas, peut se résumer ainsi : laisser la victime dans son milieu pour éviter de briser des liens affectifs ou la retirer complètement pour éviter le pire, des blessures ou même la mort. «Dans les faits, ces deux types de mesures se chevauchent continuellement à travers la prise de décision, explique Marie Beaulieu. L'intervenant choisira l'une ou l'autre en tenant compte de la vulnérabilité de la personne, autrement dit de sa capacité à se prendre en charge.»

Un manque de repères

Au-delà de ces premiers constats, ce qui ressort de l'enquête menée par Marie Beaulieu, c'est le manque cruel de repères éthiques dans le processus de prise de décision. «Chez les intervenants persistent des malaises qui se traduisent par des questionnements d'ordre éthique, indique la chercheuse. Ils arrivent à la conclusion qu'il n'y a jamais de réponse précise à la question «Jusqu'où on va?» Pour continuer avec notre exemple de Madeleine, dans son cas, l'intervenant devra évaluer s'il est dans l'intérêt de la victime de briser la dynamique familiale, avec en toile de fond le risque réel de rompre le lien filial. Une question qui n'est pas simple, et en face de laquelle l'intervenant se retrouve souvent seul, sans avoir de réelles ressources à sa disposition.

La question est encore plus délicate lorsqu'on soupçonne que la victime n'est plus totalement apte. Dans un tel cas, les intervenants interrogés par la chercheuse sont d'avis qu'il faut absolument intervenir, et même contre le gré de la personne s'il le faut. Ils connaissent les enjeux liés à l'évaluation de l'inaptitude de la victime au plan cognitif. Ils savent très bien, par exemple, que la mise en place d'un régime de protection nécessite une concertation entre les acteurs psychosociaux, médicaux et légaux. Cependant, ils savent qu'ils ont des lacunes dans le domaine, comme l'inadéquation entre leur formation et la pratique. De leur propre aveu, la plupart d'entre eux n'ont pas été assez formés à intervenir auprès des personnes âgées, voire des victimes de violence en général. Leur apprentissage et leur expertise se développe donc plus dans la pratique et par le biais de certaines formations continues. Une situation alarmante dans un contexte de population vieillissante.

Des pistes de solutions

C'est pour pallier cette lacune que Marie Beaulieu propose comme solution la création d'un lieu où les différents intervenants pourraient échanger entre eux des problèmes éthiques rencontrés dans leur pratique. À l'intérieur du CLSC, par exemple, ceux-ci pourraient se réunir pour convenir d'une marche à suivre dans le dossier d'une personne âgée maltraitée. Marie Beaulieu suggère également d'instaurer des politiques sociales s'inspirant de celles mises sur pied en violence conjugale dans les années 1980 qui favoriseraient une meilleure concertation interorganismes comme les services policiers, les hôpitaux, les CLSC, les organismes communautaires et d'économie sociale, etc. Des mesures qui pourraient voir le jour beaucoup plus rapidement si la question des personnes âgées était réellement une priorité sociale, plaide la professeure.

D'ici là, Marie Beaulieu poursuit ses travaux. Elle vient tout juste d'obtenir une nouvelle subvention pour réaliser un «aide-mémoire» destiné à épauler les intervenants dans leur prise de décision. Elle entend également travailler à l'accroissement de la formation en gérontologie, en développant des formations de quelques jours pour aider les intervenants à mieux gérer les enjeux éthiques de leur pratique, mais aussi en donnant plus de place à la gérontologie dans les cursus universitaires qui forment des professionnels en psychologie et en travail social. Bref, la professeure persiste et signe, déterminée qu'elle est à outiller les praticiens de première ligne le plus adéquatement possible.

 


La professeure de psychologie Marie Beaulieu, chercheuse au Centre de recherche sur le vieillissement, étudie les enjeux psychosociaux et éthiques rencontrés par les intervenants auprès des personnes âgées maltraitées.

Photo : Michel Caron

 

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