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Constats sur Haïti en crise
Dès la première fois qu'il a mis le pied à Haïti, en 1984, Laurent
Tessier a senti un profond attachement pour ce pays et ses habitants qui
gardent espoir malgré les souffrances. Douze voyages plus tard, il apporte
toujours sa contribution à la Perle des Antilles. Aujourd'hui, le retraité
du Centre sportif ne voit plus du même œil le pays d'où sont originaires
deux de ses enfants et qui est en pleine crise. Il dit avoir le besoin
d'exprimer ce qu'il a vu lors de sa dernière visite en janvier.
CATHERINE LABRECQUE
De tous ses voyages effectués à Haïti, le séjour de trois semaines en
janvier a été l'un des plus éprouvants pour Laurent Tessier. Il avait déjà
vu des femmes pauvres offrant leur corps pour s'acheter de la nourriture,
des gens lépreux et sidatiques sans argent pour s'acheter des médicaments,
mais jamais il n'avait vu un peuple désolé et apeuré, qui ne sait pas ce qui
l'attend. «Haïti fait couler beaucoup d'encre, mais surtout beaucoup de
sang», tel est ce que peut affirmer Laurent Tessier après avoir côtoyé le
peuple qu'il a appris à ne pas juger. Dès la première nuit de son séjour, à
la mi-janvier, il s'est aperçu qu'Haïti était sur le point de vivre une
guerre civile : «Je me faisais réveiller par des coups de feu et je voyais
des gens courir dans la rue pour se mettre à l'abri.» Il a tout de même
accompli la mission qu'il s'est toujours fixée pour ses séjours : distribuer
des médicaments et du matériel scolaire. «Ma présence à Haïti vise à
travailler avec les pauvres dans le domaine scolaire. Le président d'Haïti,
Jean-Bertrand Aristide, est responsable de l'évasion de 654 prisonniers,
dont plusieurs voleurs et tueurs terrorisant la population. Je m'accroche en
me disant qu'ils ne peuvent pas voler l'éducation aux Haïtiens», indique
Laurent Tessier.
L'Université d'État d'Haïti
Au service de l'UdeS pendant plus de 20 ans, Laurent Tessier s'attriste
devant la situation de l'Université d'État d'Haïti. D'une façon générale, il
voit l'institution universitaire comme le centre du savoir, de la recherche
et de la réflexion. Il ne peut comprendre qu'Aristide a fait casser les
jambes du recteur et défigurer le vice-recteur par les chimères,
c'est-à-dire des individus non policiers qui terrorisent la population avec
l'accord du président. «Ils ont tué et blessé des étudiants, saccagé la
bibliothèque pour les empêcher de faire leurs recherches, détruit des
ordinateurs et du matériel de bureau», déplore-t-il.
Selon lui, la situation est sans issue. «Si Aristide part, qui prendra sa
place? Il existe 150 partis politiques qui aspirent à gouverner et ceux qui
n'y parviendront pas se vengeront. La nouvelle prise de pouvoir ne fera pas
l'unanimité. Par ailleurs, je ne crois pas en la possibilité que les
Haïtiens donnent les armes. Ils peuvent en donner une partie, mais ils en
garderont toujours. La possibilité la plus bénéfique pour le peuple serait
que les Nations Unies prennent le contrôle et gouvernent pendant dix ans. Il
faudrait que cela se passe très rapidement et je ne pense pas que ce sera le
cas. De plus, je vois peu de richesse qui pourrait intéresser les
États-Unis, saut le parc industriel où l'on fabrique des produits chimiques.
Le conflit est on ne peut plus alarmant, et je pense que les Haïtiens
doivent régler leurs problèmes entre eux.»
Le plus pauvre pays
Composé de plus de sept millions d'habitants, Haïti constitue le pays le
plus pauvre du continent. «Environ 50 % du budget du pays est distribué pour
protéger le palais national. Un maigre 1 % est consacré à l'université.
Certes, beaucoup d'Haïtiens entretiennent de la haine, de la méchanceté et
de l'orgueil. Je pense qu'Haïti a avant tout besoin de se débarrasser de
l'héritage de toutes les misères et les promesses jamais réalisées.»
Malgré la situation, une partie du peuple vit d'espoir et Laurent Tessier
aussi : «Ce peuple est fort de sa capacité d'espoir. Il y a quelques années,
je parlais avec un Haïtien du sida qui affecte une grande partie de la
population et de la difficulté financière à se procurer un médicament si une
percée s'effectuait. Il m'a dit qu'il ne fallait pas désespérer et que le
médicament allait peut-être provenir d'une plante d'Haïti.» Même si les
prochaines semaines seront dévastatrices pour le peuple haïtien, Laurent
Tessier continuera de contribuer à sa façon à en améliorer la condition.
«J'ai conscience que je ne peux pas sauver le monde. Je serai heureux de
savoir que grâce à moi, un enfant haïtien a mangé dans la journée. Lorsqu'on
rêve les yeux ouverts, il est possible de poser des actions concrètes.»
Souhaite-t-il un jour revoir la terre de ses deux enfants? Cela semble une
évidence pour lui. Il assure qu'il le fera non sans prendre plusieurs
précautions pour assurer sa sécurité.
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