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Liaison, 5 février 2004
Nouveautés livres
Critique invitée : JULIE VALLIÈRES
Agente d'information
Christiane Duchesne, L'Île au piano, Éditions du Boréal
Je ne
connaissais rien à l'œuvre de Christiane Duchesne lorsque je me suis
attaquée à son roman L'Île au piano, le quatrième destiné aux adultes –
car elle sait également divertir les enfants. Ce fut une heureuse
découverte. Les quelques heures – trop brèves – consacrées à la lecture de
ce récit de 173 pages m'ont paru durer quelques minutes à peine.
Ceux qui aiment les phrases qui, lourdes de sens, vous donnent le goût
d'y réfléchir plus longuement, seront ravis. Je n'ai pu m'empêcher de
souligner certains passages avec l'envie d'y revenir. Christiane Duchesne
a l'art de nous émouvoir et de nous interpeller.
«On a souvent les souvenirs qu'on veut, jusqu'à ce qu'ils nous sautent
dessus», dit Rose à Louis-Gabriel Lefebvre, le docteur de la pointe. Rose
a 20 ans. Elle est débarquée un dimanche après-midi de printemps pour
prendre possession de la dernière maison au bout du chemin. Celle-là même
qu'avait laissée derrière elle sa grand-mère Adélie, 50 ans auparavant.
«Est-ce que je pourrais seulement vous demander, fantômes de ce lieu, ce
que vous connaissez de ma maison, de ma grand-mère, de mon père (…)?» Dans
ce petit village du Bas du Fleuve, Rose Leifs espère pouvoir découvrir ses
origines encore inconnues.
En descendant du taxi, la jeune fille fait la connaissance d'Emmanuel
qu'on surnomme Jésus, mais «qui a une tête à s'appeler Oscar». Ce petit
orphelin de dix ans a la sévérité et la maturité d'un homme que la vie a
éprouvé. Les secrets d'Emmanuel nous seront livrés, peu à peu. Tout comme
ceux de Rose. Toutefois, leurs souffrances, on les ressent dès le départ
et tout le long du récit à travers leurs paroles. Par exemple, cette
prière d'Emmanuel où transpire l'incertitude, l'inconnu et une détresse
infinie : «Dieu de toutes les galaxies, fantômes de l'espace, trucs
premiers, principes et autres choses du genre, comment vous appelez-vous?
Vous tous qui, dans tous les cas, avez l'air d'organiser le monde, cette
fois-ci, ne vous trompez pas. Je ne le supporterai pas deux fois, vous en
êtes prévenus. (…) Si vous avez le pouvoir d'ordonner les taches du pelage
des guépards, si vous donnez toujours le même nombre de dents aux humains,
si vous avez le pouvoir de décider que les flocons de neige ont six bras
et pas sept (…).» Au fil des pages, une amitié complice se développe entre
ces deux jeunes gens. Pour les autres habitants de la pointe, l'arrivée de
Rose bouscule un calme fragile et fait remonter chez eux d'anciennes
blessures.
À peine Rose est-elle installée que des pluies diluviennes s'abattent
sur le petit village. Un déluge, comme ils n'en ont jamais vu. La
presqu'île se trouve bientôt séparée du continent. Isolés du monde, sans
téléphone ni électricité, les habitants ne peuvent plus compter que sur
eux-mêmes. C'est donc dans l'adversité que Rose fait la connaissance des
habitants de la place. Elle leur apporte son aide, raconte des histoires
aux enfants, s'inquiète de la santé de Gaspard. Mais elle doit elle-même
être prudente car elle porte un enfant, depuis trois mois déjà. Claude
Béchet, le père, viendra la rejoindre à la fin de l'été. Ingénieur
forestier, il est retenu dans le nord du Québec à soigner des arbres.
Christiane Duchesne réussit à merveille à décrire les tempêtes, celle
qui se fait menaçante à l'extérieur, mais également celles qui se
déroulent dans les têtes du docteur, de Mélusine, de Jésus et de Rose.
Alors que la pluie furibonde fait disparaître deux maisons, les routes et
les sentiers au dehors, elle fait remonter les souvenirs à la surface et
nettoie les âmes au-dedans. Peu à peu, les mystères nous sont révélés.
L'Île au piano est un livre à la fois d'une grande simplicité et d'une
profondeur d'âme infinie. On s'éprend facilement des quelques personnages
qui composent la trame de ce récit. Non pas à cause de leurs tragédies
révélées ou de l'amertume qui les ronge depuis tant d'années, mais pour le
courage dont ils font preuve. Animés d'une force qui prend sa source dans
l'amour – l'amour de Louis pour Adélie qui s'est embarquée avec son
capitaine islandais, celui de Mélusine pour Louis dont elle prend soin
depuis des années, l'amour de Jésus pour Rose qui lui a donné un chien
dans la main et celui de Rose pour son Béchet et son petit bateau.
Si je vous le recommande? Sans aucune hésitation!
en collaboration avec
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