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Liaison, 5 février 2004
L'usage profane du tabac chez les Amérindiens
On connaît l'importance que revêtait le tabac dans les sociétés
autochtones d'avant l'arrivée des Européens. On a tous en tête des images –
plus ou moins justes – du rituel du calumet de paix, ou encore des offrandes
de feuilles de tabac que les Amérindiens faisaient à un dieu chargé
d'apaiser les esprits ou de favoriser les récoltes. Qu'en était-il
réellement? Les Autochtones ne consommaient-ils le tabac qu'à l'intérieur
d'activités rituelles? Il semble qu'avant l'arrivée des Blancs, tel était le
cas, mais qu'au contact de ceux-ci, ils en vinrent à adopter un usage plus
quotidien. C'est ce qui ressort d'une présentation faite par l'historienne
Sylvie Savoie dans le cadre du colloque sur la Transformation historique des
systèmes religieux amérindiens organisé par la Faculté de théologie,
d'éthique et de philosophie (FATEP), les 26 et 27 janvier, au Centre
culturel.
CHARLES VINCENT
L'usage du tabac est très ancien. On s'entend généralement pour dire que
sa domestication remonte à quelque 8000 ans, ce qui en fait l'une des
premières plantes à être domestiquée. Chez les Autochtones de l'Amérique du
Nord, le tabac revêtait des propriétés sacrées, magiques. On l'utilisait
pour établir des «ponts» entre le monde des hommes et celui des esprits.
Pour ce faire, on le mâchait, on l'infusait, on l'inhalait ou encore on le
prisait. Plus particulièrement, chez les nations amérindiennes qui vivaient
sur les territoires qui deviendront éventuellement ceux du Québec, des
Maritimes et de la Nouvelle-Angleterre, on le fumait à l'aide d'une pipe,
généralement faite de pierre ou d'argile. Afin d'en améliorer le goût ou
encore pour l'économiser – parce qu'il était rare dans les régions où on ne
le cultivait pas –, le tabac était très souvent mêlé à d'autres substances
végétales telle que l'écorce.
En dépouillant les témoignages des voyageurs européens des XVIe et XVIIe
siècles, Sylvie Savoie s'est aperçue que les Amérindiens reconnaissaient
cinq principaux usages au tabac. Séchées ou fumées, les feuilles de tabac
servaient d'offrande aux dieux ou de «véhicule» aux prières, la fumée
transportant les requêtes d'ici-bas vers l'au-delà. Jetées dans l'eau, les
feuilles de tabac pouvaient également servir à apaiser les esprits ou encore
à calmer Mère Nature. On utilisait aussi le tabac dans le traitement des
maladies, notamment pour soulager des piqûres d'insectes et éloigner la
fatigue ou les maux de dents. On s'en servait par ailleurs lors de certaines
pratiques cérémonielles, par exemple en guise de cadeau pour consoler les
parents d'un défunt. Finalement, le tabac pouvait être offert à des
dignitaires lors d'occasions spéciales ou servir à sceller une alliance ou
une affaire, comme lorsqu'on utilisait le calumet de paix.
Un usage profane?
Dans chacun de ces cas, l'usage du tabac procédait d'un rituel. La plante
revêtait des vertus sacrées. Peut-on imaginer qu'il existait, en marge de
ces pratiques, un usage désacralisé, profane? C'est ce qu'a voulu savoir
Sylvie Savoie. Il semble que les Amérindiens appréciaient le goût du tabac
et l'odeur de la fumée. «Le tabac les tenait au chaud, les réconfortait,
coupait leur faim, éveillait leur esprit, indique l'historienne. Pour bien
des voyageurs blancs de l'époque, le tabac était aux Amérindiens ce que la
bière et le vin étaient aux Européens.» Comme le précise Sylvie Savoie : «On
présente généralement une période, précédant l'arrivée des Blancs, où
l'usage du tabac était strictement limité aux cérémonies. Ce n'est pas tout
à fait juste puisque déjà, selon les témoignages, l'utilisation rituelle du
tabac côtoyait son usage sur une base plus quotidienne. Il reste toutefois
que l'usage désacralisé se répandra avec l'accessibilité plus grande au
tabac, celle-ci coïncidant avec sa présence en grande quantité dans les
marchandises européennes.»
À l'heure actuelle, l'historienne n'a étudié que les témoignages écrits
des Européens, des sources d'une grande richesse, mais qui demeurent
partielles et partiales. Au cours des prochains mois, elle entend regarder
du côté de l'histoire orale pour mieux comprendre le rapport
qu'entretenaient les Amérindiens à l'égard du tabac. Sylvie Savoie
continuera de mener en parallèle ses autres travaux. Chargée de cours au
Département d'histoire et de sciences politiques depuis une douzaine
d'années, elle travaille à plusieurs projets d'histoire amérindienne, dont
un site Internet consacré aux Autochtones de 1500 à nos jours, financé
notamment par le ministère de l'Éducation du Québec. La spécialiste des
études autochtones a par ailleurs dirigé le plus récent numéro de la revue
Recherches amérindiennes au Québec, qui porte sur les Abénakis.
Un colloque riche en réflexions
Au total, plus d'une vingtaine d'universitaires de provenances et
d'horizons divers (archéologie, histoire, théologie, anthropologie et droit)
ont présenté les résultats de leurs travaux dans le cadre de ce premier
colloque sur la Transformation historique des systèmes religieux
amérindiens. Un colloque qui visait, comme l'indique Claude Gélinas,
professeur à la FATEP et principal organisateur de l'événement, «à brosser
un portrait général et multidisciplinaire de la façon dont les religions
amérindiennes se sont transformées au cours de l'histoire, depuis les
religions «traditionnelles» de la préhistoire en passant par l'acculturation
religieuse et les conversions de l'époque coloniale, jusqu'au renouveau
spirituel actuel». Le mandat était large. Il embrassait l'ensemble des
Amériques, de la période précolombienne à aujourd'hui.
Parmi les participants, on trouvait aussi des Amérindiens. Le chef
régional de l'Assemblée des Premières Nations du Québec, Ghislain Picard, a
souligné l'importance d'un tel événement à un moment où certaines nations
amérindiennes semblent faire face à un cul-de-sac en matière spirituelle,
dans la mesure où les membres connaissent de moins en moins leur histoire et
se voient forcés d'emprunter aux autres nations. L'Abénakis Michael Benedict
a quant à lui montré comment il a acquis raison et équilibre au contact de
son dieu. L'Attikamek Charles Coocoo a offert une présentation sur la
tradition et le Nouvel Âge dans les mouvements d'affirmation culturelle
autochtone, et Carmen Petiquay a livré un témoignage sur le rôle de la
spiritualité dans la guérison des autochtones aux prises avec des
dépendances.
Le chef régional de l'Assemblée
des Premières Nations du Québec,
Ghislain Picard, s'est réjoui de la tenue
de ce colloque sur les systèmes
religieux amérindiens. |
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Sylvie Savoie, chargée de cours au Département d'histoire et de
sciences politiques, s'est penchée sur l'usage du tabac chez les
Amérindiens des XVIe et XVIIe siècles.
Photo SSF : Roger Lafontaine |