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Liaison, 5 février 2004
Les examens à la Sorbonne : Un exercice de sudation
STÉPHANIE RAYMOND
Étudiante au baccalauréat en communication, rédaction et multimédia
Collègues étudiants, au moment où vous lisez ces lignes, peut-être
êtes-vous en pleine préparation des examens de mi-session, un café dans la
main droite et deux ou trois cheveux arrachés dans la gauche. Ah, les
examens! Ce seul mot suffit à augmenter le degré de sudation des uns et à
faire ingurgiter trois tablettes de chocolat d'affilée aux autres.
Jusqu'à aujourd'hui, j'avais à peu près réussi à ne pas laisser ce
fameux mot être la cause d'insomnie ou de destruction de ma vie
personnelle. J'envisageais la période des examens avec sérénité, et je
trouvais que certains de mes camarades n'avaient aucune raison de tant
s'énerver le poil des jambes.
Il m'aura fallu m'inscrire à la Sorbonne pour les comprendre. Les
raisons de m'énerver? Il y en avait quelques-unes cette fois, et c'était
des raisons de poids. Premièrement, je n'avais jamais passé d'examens en
France, et encore moins à la Sorbonne. Qu'est-ce qu'elles exigent de nous,
ces encyclopédies ambulantes qui nous bourrent le crâne de dix théories à
l'heure? Là était la question. Un examen, ça va, mais un examen à la
Sorbonne, ça n'allait plus du tout. Et puis, si je ratais un cours, un
seul, je pouvais dire adieu à la bourse du gouvernement, laissant ainsi un
trou de 4000 $ dans mon budget. Sans compter que j'aurais à reprendre les
cours manqués au Québec, moi qui ne rêve que d'avoir enfin mon diplôme en
poche.
Espagnol et portugais, pas de quoi en faire une montagne. Mais
linguistique française et rhétorique et stylistique, le mont Blanc. On
m'avait conseillé au Québec de ne pas faire de linguistique en France. Je
m'étais botté le derrière pour prendre réthorique. C'est en voyant
approcher la période des examens que je me suis demandé pourquoi j'avais
choisi ces cours. Pour me rappeler qu'en fait, à la Sorbonne, il n'y a pas
de cours, il n'y a que des Cours. Autant assumer mon choix d'université
maintenant.
Heureusement, le stress ne m'a pas écrasée dans mon lit avec une
bouteille de bière pour oublier; il m'a plutôt poussé à aller me plonger
dans une pile de manuels de rhétorique à la vieille bibliothèque
Sainte-Geneviève. Croyez-moi, la rhétorique et moi, on ne fait plus qu'un
maintenant, alors que je savais à peine la signification de ce mot il y a
quatre mois. Pour ce qui est de la linguistique, disons que le prof n'a
pas dû avoir d'auditrice plus attentive que moi en 40 ans de carrière.
J'arrive donc aux examens avec un niveau de stress raisonnable, me
sentant bien préparée. Mais sait-on jamais? Rhétorique, je noircis huit
feuilles de papier pour expliquer les arguments rhétoriques et procédés
stylistiques déployés par les acteurs et le narrateur d'un extrait de
pièce de théâtre classique... Posez pas de question, ça me prendrait
13 cours de quatre heures pour vous expliquer... En linguistique, le
mandat est d'expliquer comment une proposition subordonnée complément
d'objet direct peut devenir un nom et comment un nom peut devenir un
verbe. Cherchez pas à comprendre. Bon, le tout, c'est que je passe, me
dis-je (autre nouveauté : je n'avais jamais pensé en termes de notes de
passage avant).
Fin janvier, je me présente dans le bureau du prof de linguistique pour
recevoir ma note finale. Je m'assois. Augmentation soudaine de mon degré
de sudation. Le prof ouvre l'enveloppe, et j'essaie de ne pas m'étirer le
cou jusque dans ladite enveloppe. «Très bien, qu'il me dit. Vous avez eu
15 sur 20 (les notes en France sont sur 20), et je vous mets 16 pour
l'ensemble du cours, ce qui correspond à la mention «excellent». J'ai
failli l'embrasser. Je suis sortie du bureau légère comme un oiseau.
Enfin, comme une autruche disons, car il me restait à aller chercher mon
résultat de rhétorique.
Je vais donc voir ma prof de rhétorique. Et oui, tout ça dans la même
heure, de quoi me faire perdre deux litres d'eau. «Vous avez eu la
meilleure note des 80 étudiants.» Aaaahhh! Tout à coup, je ne regrette
plus mes heures passées à la bibliothèque plutôt que dans les cafés de
Paris, j'ai envie de crier «merci!» à tous les gens qui m'ont stressée
avec leurs «tu vas voir en France, les profs mettent des notes pas mal
moins hautes», et d'entrer dans la secte des Descendants d'Aristote. Et la
prof de suggérer que je devienne chargée de cours à la Sorbonne ou que je
fasse une thèse chez eux «car il ne faudrait pas que tu te perdes dans la
nature». Je ne sais pas si revenir au Canada consiste à se perdre dans la
nature pour un Sorbonnard. Mais même si je reviens, je ne serai pas fâchée
d'avoir montré aux Français que les étudiants de la «petite université de
la petite ville de Sherbrooke perdue dans le grand Québec» peuvent
«accoter» ceux de la meilleure université de France, quand ils s'y
mettent!
Morale de l'histoire : ne stressez pas trop avec les examens. Ou plutôt
faites de votre stress un allié. Tiens, et si au lieu de devenir prof à la
Sorbonne, je donnais des conférences sur la façon de gérer son stress en
période d'examens?
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