Liaison, 8 janvier 2004
Selon un article publié dans Nature
L'avenir des mouflons
à longues cornes compromis
GILLES PELLOILLE
La chasse aux mouflons d'Amérique mâles à longues cornes de Ram Mountain,
en Alberta compromet l'avenir de cet important troupeau et elle a déjà des
effets néfastes sur les caractéristiques génétiques de l'espèce.
C'est la conclusion livrée par Marco Festa-Bianchet, professeur au
Département de biologie de l'Université, dans un article de la prestigieuse
revue scientifique Nature, article qu'il signe en collaboration avec des
collègues des États-Unis et du Royaume-Uni. «Notre étude est la première à
montrer un effet de sélection artificielle au sein d'une population sauvage
en tenant compte de données recueillies depuis 1971 auprès de presque tous
les individus du troupeau», affirme le chercheur.
L'étude démontre que la politique actuelle de chasse aux trophées va à
l'encontre de la sélection naturelle qui favorise les mouflons équipés de
longues cornes plus aptes à défendre les femelles en rut contre des mâles
porteurs de cornes plus petites. «Les chasseurs pratiquent une sélection
artificielle qui élimine progressivement et très rapidement les gènes qui
favorisent la croissance de longues cornes. Pire encore, les
caractéristiques génétiques des mâles à longues cornes sont aussi associées
à d'autres traits héréditaires comme la taille des individus, et
possiblement leur force, leur santé, etc. L'espèce perd donc ses meilleurs
géniteurs et nous constatons très vite des conséquences négatives sur
d'autres caractéristiques de cette population», explique Marco
Festa-Bianchet.
À l'heure actuelle, tout résidant albertain peut s'acheter un permis de
chasse au mouflon d'Amérique mâle et tuer un bélier dont les cornes font
plus de 4/5 de courbure. À cause du trophée que représentent ses cornes, un
mâle à grandes cornes peut être abattu dès l'âge de quatre ans alors que ses
longues cornes ne lui permettront d'assurer son succès auprès des femelles
que vers l'âge de sept ans. L'espérance de vie des mouflons à grandes cornes
est donc courte et cela diminue leurs chances de transmettre leurs gènes.
Comme les béliers à petites cornes ne sont pas visés par les chasseurs, ils
ont peu de compétition lors des périodes de rut et l'espèce est de plus en
plus représentée par des mâles à petites cornes moins résistants.
Déjà, 32 années de suivi scientifique sur le troupeau ont démontré que la
composante génétique de la longueur des cornes a changé : les mâles
d'aujourd'hui ont des cornes plus petites que leurs ancêtres. «Notre étude
souligne l'importance de prendre en compte la génétique et l'écologie
évolutive lorsqu'il est question de gestion de la faune et de conservation
des espèces», explique Marco Festa-Bianchet, qui donne actuellement une
série de conférences en Australie.
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