|
Liaison, 27 novembre 2003
Les tentations parisiennes d'une étudiante québécoise
STÉPHANIE RAYMOND
Étudiante au baccalauréat en rédaction communication
C'est connu, les étudiants n'ont jamais d'argent. Jamais assez en tout
cas. Tout juste ce qu'il faut pour se payer une minuscule chambre en
résidence, les dîners à la cafétéria, et la bière du vendredi soir. Le
manque d'argent est un sujet de conversation aussi répandu que la nouvelle
pub de Bell ou la dernière émission d'Occupation double.
Il faut vivre quelque temps à Paris pour se rendre compte que
finalement, le peu qu'on avait au Québec était quand même quelque chose.
Si, à Sherbrooke, l'argent fond comme neige au soleil, en quelques jours,
à Paris, il se consume comme l'alcool d'une bonne tarte flambée.
Le loyer d'abord. Une chambre dans un foyer pour étudiantes. Une petite
pièce surchauffée (et moi qui croyais geler cet hiver; je sue comme au
Sahara) avec une douche dont le pommeau n'a pas de support au mur. Une
cuisinette pour tout l'étage, sans micro-ondes ni congélateur. (Les vieux
pays, c'est beau, mais c'est les vieux pays, quoi!) Quant à mon
réfrigérateur, eh bien disons qu'il m'a obligée à me mettre à la mode
française : faire mon marché tous les deux jours à l'une des nombreuses
épiceries du coin.
Coût mensuel de la chambre : 430 euros, soit 700 $. De quoi louer trois
chambres en résidence ou une petite maison à Sherbrooke. Mais je me
considère tout de même chanceuse de m'être trouvé un toit dans ce Paris
surpeuplé.
Reste ensuite à payer l'épicerie. Bon, ça, ça va, mais il vaut mieux
laisser certaines denrées sur les tablettes. Le prix de la viande a de
quoi convertir au végétarisme l'étudiant le plus carnivore. Près de deux
dollars pour une seule tranche de poulet pressé, ça fait vite grimper le
coût du club sandwich. Heureusement, les lentilles et le couscous, c'est
pas cher. Et puis il y a les bouteilles de vin et les camembert à deux
dollars. Mais bon, on finit par se tanner du camembert, des lentilles et
du couscous. Alors on change de fromage et on achète un coulommiers. Pour
se rendre compte que ça goûte la même chose que le camembert. Alors le
dimanche, on n'en peut plus et on court s'acheter un bon vacherin. Dix
dollars. Bon, c'est la gâterie de la semaine.
Et puis il y a les tentations gastronomiques qui s'allient
littéralement pour vous tirer le jus du porte-monnaie. Une boulangerie à
tous les cinq mètres, qui répand sans aucun remords de conscience des
odeurs de pain frais, de croissant au beurre et de mousse au chocolat. À
la première, on se ferme les yeux et on se bouche le nez, à la deuxième on
fait du lèche-vitrine et à la troisième, on se retrouve en train de lécher
une boule au chocolat. Alors on tait ses remords à grands coups de «c'est
la meilleure boule au chocolat que j'aie jamais mangée!». (Le pire c'est
que c'est vrai, alors on se dit ensuite que la tarte tatin, la meringue au
chocolat et le croissant aux amandes doivent être tout aussi délicieux.)
Il y a encore les cartes d'appel. Acheter un cellulaire, c'est tel que
tel, mais dépenser 100 $ par mois pour dire cinq fois à sa famille de
Sherbrooke «Allô! Rappelez-moi S.V.P.!» et parler quelques minutes par
semaine à ses amis parisiens, «ça soûle» comme on dit en France. Alors on
aimerait communiquer par Internet, mais là encore, il y a un piège à
portefeuille. Internet, c'est pas encore fort fort dans les vieux pays.
Les accès aux ordinateurs à la Sorbonne sont limités à 20 minutes. Alors
quand on a besoin d'un peu plus de temps (c'est-à-dire tout le temps), il
faut se rendre dans un café Internet, qui gruge un autre coin de la tarte
monétaire. Il faut aussi y aller pour télécharger les photos de son
appareil numérique, car les ordinosaures de la Sorbonne n'ont pas de port
USB… Et télécharger 75 photos, ça prend pas trois minutes.
Finalement, il reste la plus grande des tentations : les voyages. On
visite, on prend le train, on se dit qu'il faut en profiter puisqu'on est
en Europe seulement pour six mois. Puis on se paye une vraie folie : on
achète un billet de bus aller-retour pour Prague. Mais on reste pris à la
frontière de l'Allemagne et de la République tchèque parce que ce pays ne
fait pas partie de l'Union européenne et que les Canadiens ont désormais
besoin d'un visa tchèque pour passer la frontière. Alors on passe le
week-end en Allemagne, qui est un pis-aller très satisfaisant, mais qui
augmente le taux de salinité de la facture.
Finalement on se retrouve un peu dans le rouge à la fin du mois. On se
remet donc au camembert-lentilles-couscous pour deux semaines et on
n'appelle plus ses amis et sa famille.
Mais bon, qui a dit que l'argent faisait le bonheur?
Retour à la une
|