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Liaison, 27 novembre 2003
Sonder les lieux et les êtres
Normand Achim, photographe
CHARLES VINCENT
Normand Achim est technicien en documentation. Il travaille à
l'Université depuis bientôt trente ans. Il aime voyager. Il aime également
les gens. Pour lui, la photographie est un moyen d'expression exceptionnel.
C'est le moyen qu'il a trouvé, lui, pour sonder les êtres, pour sonder les
lieux. Au cours des trente dernières années, il a produit des milliers de
photos et présenté de nombreuses expositions individuelles et collectives.
Il a fait de la photo une véritable passion, une passion qui lui a permis de
s'exprimer et, depuis une dizaine d'années, de voyager.
Au début des années 1990, Normand a imaginé une façon originale de
financer ses voyages. Il vend à ses clients – des professionnels, des
collègues, des amis – ce que l'on pourrait appeler des photos virtuelles,
des photos qu'il prendra lors de son prochain voyage. Quand les ventes
couvrent l'essentiel des frais anticipés, il part. Au cours des treize
dernières années, il a vendu de nombreuses photographies et financé pas
moins de huit voyages, tous en Europe. Le dernier a eu lieu l'été dernier.
Normand a parcouru l'Autriche, la Croatie, l'Italie, la Suisse et la France.
Au total, une quarantaine de jours de travail durant lesquels il a exposé
pas moins de 108 pellicules!
«Ma façon de faire repose sur un engagement réciproque, explique-t-il.
Le client prend un risque en achetant une photo qu'il n'a pas vue et moi en
échange, j'ai carte blanche.» Si la méthode profite au photographe, et au
client qui acquiert ainsi des photos inédites, elle génère cependant
beaucoup de stress. «Il faut livrer la marchandise, ajoute-t-il. Jour après
jour, tu prends des photos, des milliers au total, et tu ne vois les
résultats qu'à ton retour.» Mais le plaisir de voyager est là pour compenser
et l'expérience du photographe, pour le rassurer. On n'a qu'à voir ses
œuvres pour s'en convaincre : des paysages, des scènes de la vie quotidienne
d'une rare beauté.
Le «gars au robinet»
C'est dans les années 1970 que Normand Achim s'est fait un nom dans
l'univers de la photographie. Adepte de la «théâtralité», il utilisait ses
photos pour présenter son point de vue personnel sur la vie, et non la vie
en elle-même. Il travaillait avec des comédiens, créait des personnages.
«Mon travail est vraiment organisé, planifié, disait-il au journaliste de La
Tribune qui l'interviewait à propos d'une exposition présentée en 1977 et
consacrée au Bien et au Mal. Chaque photo est un segment de la vie. C'est
théâtralisé.» Aujourd'hui, avec le recul, Normand Achim admet qu'il essayait
surtout de se comprendre à travers ce type de photos.
Ce faisant, il s'efforçait aussi de marquer l'imaginaire des gens,
n'hésitant pas à déranger. Deux de ses photomontages réalisés dans les
années 1970 résument particulièrement bien cette période de la «carrière» de
l'artiste. L'un présentait une photo d'une femme nue sur le ventre de
laquelle avait été greffé un robinet; l'autre, baptisé «Le point de vue de
la poule», donnait à voir la photo d'une paire de bottes de caoutchouc
devant laquelle avaient été appliqués de la «broche à poules» et du foin.
Ses montages détonnaient. Ils ne sont d'ailleurs pas passés inaperçus, tout
comme l'ensemble de ses expositions présentées à Montréal, Québec, Ottawa et
Sherbrooke.
Puis, vers la fin des années 1990, Achim est passé aux paysages. Un
changement qui s'est fait par hasard. Il travaillait à l'époque sur «une
série de portraits avec de la glace». Durant une soirée mondaine, une
artiste lui lança que la glace n'était qu'une affaire de Québécois. Piqué
par ce commentaire, Normand lui répondit qu'il pouvait tout aussi bien aller
finir ses photos en Grèce! Une fois la boutade lancée, et le photographe
décidé à aller au bout, il ne restait plus qu'à trouver le moyen de payer le
voyage. C'est alors qu'il a eu l'idée de vendre des photos avant qu'elles ne
soient prises. Il en a vendu trente et quelque temps après, il s'envolait
pour la Grèce. Le concept était né!
L'art de la séduction
Au fil des années, entre les photos théâtrales et les photos de paysages,
Achim en est venu à développer son propre style, qui repose sur le recours
presque systématique au noir et blanc. «Le noir et blanc oblige l'esprit à
envisager l'objet autrement qu'à travers le prisme de la réalité,
précise-t-il. Je ne veux pas reproduire la réalité. Je veux que l'esprit
aille au-delà de la vision de l'objet, qu'il pénètre dans les profondeurs
des sentiments qu'il évoque. Avec le noir et blanc, on bascule. On oblige la
partie gauche du cerveau à travailler.» On sent également dans l'œuvre d'Achim
une volonté de comprendre l'humain, une quête qui va bien au-delà de la
photo en elle-même.
«La magie des gens et des lieux, c'est ce qui m'intéresse, explique le
photographe. Pour moi, voir quelqu'un à travers un objectif, c'est magique.
La distance est anéantie par l'effet de fermeture qu'il procure.» Et c'est
en ce sens qu'il envisage l'art de la photographie. «Pour faire sa photo,
précise-t-il, le photographe doit oublier l'espace dans lequel il est et
tout faire pour en recréer un autre. Il doit amener le sujet à s'oublier lui
aussi.»
Pour Normand Achim, tous les humains sont photogéniques, qu'ils soient
beaux ou laids, gros ou maigres, malades ou en santé. «Car être
photogénique, dit-il, c'est être capable de séduire, et tout le monde peut
séduire.»
On peut voir quelques-unes des œuvres de Normand Achim à la
bibliothèque de la Faculté de droit.
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Normand Achim, technicien en documentation à la bibliothèque de
droit, a imaginé une façon originale d'allier ses deux passions : la
photographie et les voyages.
Photo SSE : Roger Lafontaine |