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Liaison, 4 septembre 2003
Nouveauté livre
Critique invitée : Odile
Couture, commis de bibliothèque
Croque-monsieur de Diane Sansoucy
Cet été, j'ai fait l'heureuse découverte d'un roman écrit par
Diane Sansoucy. Il s'agit de l'histoire d'une famille et des
événements qui vont marquer plus particulièrement l'un de ses membres,
Claudine, enfant blessée puis adulte écorchée.
Diane Sansoucy est une auteure québécoise provenant du milieu
théâtral. On en reconnaît d'ailleurs l'influence à la manière dont
elle met en scène son roman.
Au premier contact, Croque-monsieur rebute : une couverture dans les
tons de gris et de brun, un dessin de Carl Pelletier représentant une femme
ligotée et écartelée. Ne pas tourner la première page serait pourtant
dommage, car dès le début, la psychologie des personnages intrigue. Il est
vrai que l'auteure pose un regard lourd, profond, direct et difficile sur
la vie et la mort, mais si savamment éclairé par le sarcasme et l'humour,
que le récit s'avère captivant et les personnages extrêmement touchants
dans leurs multiples facettes.
Le roman débute donc avec l'agonie de Madeleine, la belle-mère de
Claudine. Événement charnière dans la vie de cette dernière, il donne
lieu à un retour en arrière durant lequel nous suivons le difficile
cheminement intérieur de Claudine.
L'action se déroule principalement dans un petit village isolé. Les
enfants sont les témoins impuissants de la noyade de leur mère,
Françoise, à la suite d'un esclandre particulièrement orageux avec
André, leur père. Dès ce moment, celui-ci perd l'usage de la voix :
comme si, à cause des mots proférés, il ressentait la culpabilité d'avoir
poussé sa femme vers la mort.
Claudine, quant à elle, entreprend un long parcours d'introspection et
d'automutilation. "La mort est une maladie de naissance, la folie est
une maladie contagieuse." Claudine mutile ses bras et ses mains qui n'ont
su retenir sa mère dans sa course vers la mort. Entre en scène Madeleine
qui, à force de soins et de patience, fera un peu "pencher le malheur
du côté du bonheur" et deviendra le moteur de la reconstruction de
cette famille.
Voilà qui donne le ton au récit où viendront s'ajouter des
personnages masculins extrêmement significatifs pour Claudine. Plusieurs
thèmes sont abordés sans aucune pudeur : la mort, l'homosexualité, la
jalousie, le pardon, le sentiment d'abandon, l'amour, l'amitié, la
folie pour ne nommer que ceux-là.
L'écriture de Diane Sansoucy est réjouissante : d'habiles
transitions entre le passé et le présent, des situations inusitées dont
les explications viennent plus tard, un regard franc et direct sur la vie.
Malgré toute la douleur exprimée, des gestes d'espoir sont quand
même posés, à l'instar de Van Gogh, une figure importante dans la vie
de Claudine, "celui qui a su donner à la douleur, à l'abominable,
à l'insupportable, les contours du bonheur et faire rire et pleurer
toutes les couleurs".
Si vous savourez ce genre de réflexion : "Robert vit sa vie à
lui tout droit, sans jamais aller fouiner dans les chemins de traverse, et m'accuse
de faire de la mienne une utopique course aux trésors." Ou encore ce
type d'atmosphère : "Son ton était calme, plutôt neutre, sa
voix posée, elle me regardait droit dans les yeux : un démineur qui
écarte doucement la terre au-dessus de la bombe prête à exploser.",
vous en apprécierez sûrement l'abondance dans ce livre.
Pour ceux et celles qui, comme moi, sont amateurs de romans
psychologiques complexes ayant la famille pour toile de fond, je suggère
aussi la lecture d'une autre auteure canadienne, Ann-Marie MacDonald. Son
premier roman Fall on your knees (Un parfum de cèdre, en français) raconte
aussi l'histoire d'une famille, mais par le biais de la relation d'amour
démesuré d'un père envers sa fille aînée. La parution de son prochain
roman, The Way the Crow Flies est prévue pour septembre. Vivement la
traduction française!
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