Liaison, 4 septembre 2003
Les garderies à 5 $
Spécialiste : Hélène
Larouche, professeure en éducation
Question : Au départ, quels étaient les principaux
objectifs du programme public de garderies à 5 $?
Replaçons-nous dans le contexte de la Politique familiale qui a vu le
jour en 1997. Le gouvernement prenait parti de façon claire pour aider
les familles québécoises et les soutenir par une série de
mesures : réforme du soutien financier relativement aux allocations
unifiées, développement de services éducatifs et de services de garde
à la petite enfance, régime d'assurance parentale pour les congés
parentaux. On souhaitait alors placer "les enfants au cœur de nos
choix" pour reprendre l'intitulé de la politique. Les trois
objectifs majeurs de cette politique sont : d'assurer l'équité par
un soutien universel aux familles et une aide accrue aux familles à
faible revenu; de faciliter la conciliation des responsabilités
parentales et professionnelles; de favoriser le développement des enfants
et l'égalité des chances. Les places à 5 $ visent l'expansion
des services de garde. Actuellement le nombre de places ne peut répondre
aux besoins des familles.
Q : D'après vous, ces objectifs ont-ils été atteints?
La contribution réduite à 5 $ représente une volonté
clairement affirmée d'offrir aux enfants québécois la chance de
fréquenter des services éducatifs pour favoriser leur développement et
leur bien-être. De mon point de vue, l'augmentation des frais
journaliers de 5 $ remet en question la valeur fondamentale de l'égalité
des chances. Elle marque un net recul dans le chemin parcouru pour mettre
en place de façon tangible les dispositions de la politique familiale.
Q : Quels sont les principaux problèmes du réseau de
garderies actuel?
Il faut se rappeler que les services à la petite enfance sont le fruit
d'une longue lutte. Les éducatrices avec la collaboration des parents
se sont battues pour la création de garderies publiques. Malgré les
demandes réitérées pour reconnaître l'éducation des jeunes enfants
au même titre que les autres programmes sociaux, les Centres de la petite
enfance sont perçus comme des entreprises privées dont les coûts
doivent être assumés par les "clients". Pour le dire de
manière plus simple, un des problèmes les plus importants est, selon
moi, la non-reconnaissance associée au travail en garderie. On s'accorde
à dire que les éducatrices jouent un rôle de premier plan dans le
mieux-être social et économique des familles, pourtant elles obtiennent
peu de soutien du public en général.
Q : Croyez-vous que les pistes de solutions évoquées par
le ministre Béchard vont contribuer à régler ces problèmes?
Je crois que les solutions avancées par le Ministre devront tenir
compte d'une problématique beaucoup plus complexe et systémique que la
seule augmentation des frais de garde. Parmi les facteurs
socio-économiques, mentionnons : la participation massive des femmes
sur le marché du travail, la difficile conciliation travail-famille pour
la majorité des parents, mais de manière plus criante pour les familles
monoparentales, l'accessibilité des services de garde (manque de
places, diversité des besoins), la pauvreté grandissante des familles,
le déséquilibre démographique, l'intégration des enfants immigrants.
Voilà des défis quotidiens auxquels les Centres de la petite enfance
font face et qui doivent être entendus par le ministre Béchard.
Q : Le gouvernement affirme que le réseau de CPE actuel
coûte cher et que les modifications qu'il propose permettront d'importantes
économies aux familles les plus démunies et à l'ensemble des
contribuables. Ce sont quand même des arguments de poids.
Si on veut s'attarder uniquement à l'aspect financier, je crois qu'il
faut examiner la question sur une longue période. Dans une étude
présentée au Comité sur l'éducation à la petite enfance, on a
examiné les coûts et bénéfices associés à l'instauration de
services éducatifs pour les enfants d'âge préscolaire (Conseil
supérieur de l'éducation, 1996). Prenant appui sur les
prévisions des coûts des services éducatifs, on démontre que pour
chaque dollar investi, la société épargne 4,07 $ étalés sur une
période de 60 ans. Les bénéfices anticipés concernent, entre
autres, la création d'emploi, la réduction des taux de délinquance et
de criminalité à l'adolescence, l'amélioration de la performance
scolaire. Par conséquent, le réseau des CPE répond davantage à des
besoins sociaux préventifs et éducatifs que strictement à des besoins
de garde pour les enfants. Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier les
services de garde en milieu scolaire qui accueillent un très grand nombre
d'enfants en dehors des heures de classe et qui risquent d'être
touchés par ces modifications.
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