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Construire sa propre maison de campagne
Hugues Ménard est professeur chercheur au Département de chimie de l'Université
de Sherbrooke depuis bientôt trente ans. Alors que d'autres font du sport
pour se détendre, lui, il joue du marteau et de la scie ronde. Il a
consacré une bonne partie de ses loisirs des cinq dernières années à la
construction de sa propre maison de campagne, faisant tout lui-même, de la
conception des plans à la finition, en passant par l'élévation de la
charpente et des murs. Pourquoi? Par pur plaisir. Pour le bonheur d'être
en forêt et de refaire le plein d'énergie.
CHARLES VINCENT
Lorsqu'il arrive à sa maison de campagne, située dans
la région du mont Ham, Hugues Ménard se précipite dans son garage. Il en
ressort aussitôt, une chaudière de grains à la main, pour se diriger vers
l'un des trois lacs qui enjolivent sa terre, celui où se trouvent trois
canards qui l'y attendent en poussant des onomatopées où se mêlent le
plaisir de revoir leur maître et l'envie de s'empiffrer. Ce geste, d'apparence
banale, est en fait une sorte de rituel, une pratique qui marque le passage
du monde du travail à celui de l'apaisement. Son "terrain de
jeu", comme il aime à dire.
Tout près du lac se trouve son "chef-d'œuvre",
la maison qu'il a érigée au fil des ans, au prix de nombreux efforts,
tous souhaités et appréciés, précise Hugues Ménard. Un superbe chalet
qui par sa prestance mérite sans contredit l'appellation de maison. La
construction est entièrement de bois. Tous les matériaux utilisés, que ce
soient les madriers ou les planches, proviennent de sa terre, une ancienne
ferme d'une centaine d'acres dont la moitié a été convertie en
plantation de conifères, il y a maintenant trente ans. Il aura fallu deux
années pour abattre et faire scier tout ce bois.
Un ambitieux projet
C'est pour profiter de la nature que Hugues Ménard a
troqué, il y a 15 ans, son chalet au bord de la rivière
Saint-François pour une terre à bois. "J'avais besoin d'espace,
de l'espace pour marcher en forêt. Assez d'espace pour ne pas déranger
les voisins", blague le chimiste. Plutôt "terrestre", il
préfère la compagnie des arbres aux activités aquatiques. "L'un
des grands plaisirs à posséder un vaste territoire, c'est qu'il
comporte plusieurs endroits différents, qui évoluent tous différemment
dans le temps, explique-t-il.
Un an après l'achat de sa terre, il construisait un
petit chalet, juste de quoi pouvoir s'abriter lors de ses séjours à la
campagne. Durant les dix années qui ont suivi, il a "ouvert" un
chemin pour se rendre au chalet, procédé à certains travaux de drainage
puis réparé les barrages des lacs, dont l'un d'ailleurs est redevenu
récemment, à son grand dam, le lieu de nidification d'une famille de
castors. Du gros labeur physique qui le transportait à cent lieues de son
univers professionnel, celui des salles de classe et des laboratoires de l'Université
où il enseigne et mène ses recherches.
Puis, vint l'ambitieux projet, celui de bâtir quelque
chose de plus important, une construction plus imposante. "Je n'avais
jamais construit de maison de ma vie, explique Hugues Ménard. Je suis un
pousseux de crayon". En bon scientifique, il procéda d'abord par
observation. "Je suis allé sur les chantiers de construction, voir
comment les ouvriers opéraient. Je leur ai posé des questions, se rappelle
le gentleman entrepreneur en construction. Puis, un jour, je me suis
procuré un logiciel d'architecture. Pendant tout l'hiver, j'ai passé
mes temps libres à concevoir les plans."
Construire à la dure
Les travaux ont débuté dès le printemps. D'abord les
fondations, puis la charpente et les murs, le gros œuvre. À la fin du
premier été, la maison était entièrement "fermée". Juste à
temps pour pouvoir travailler à l'intérieur, au sec, durant l'automne
et l'hiver. Tranquillement, au rythme d'une journée par fin de semaine
–ce à quoi s'ajoutaient la presque totalité des vacances estivales–
la maison prenait forme, s'embellissait. En cinq ans, elle devenait
complètement habitable, avec ses trois étages, ses sept pièces, ses deux
poêles à bois et sa tourelle qui offre une vue imprenable sur les lacs.
Une construction qui s'est faite à la dure. Non
seulement l'"entrepreneur en construction" en était à ses
premières armes, mais il devait le faire sans le moindre kilowatt. "Il
a fallu débiter les madriers à la scie mécanique", se souvient
Hugues Ménard. Le travail était exigeant. Tellement dur que deux
génératrices ont rendu l'âme sur le chantier. Le professeur pensait
bien tenir la solution en construisant sa propre éolienne, mais celle-ci ne
résista pas aux grands vents. "Les pales volaient dans toutes les
directions", explique-t-il.
Ce n'est qu'une fois rendu à l'étape de la
finition que Hugues Ménard a bénéficié de l'électricité. Toute une
aventure! Pour se brancher au réseau d'Hydro-Québec sans qu'il lui en
coûte une fortune, il a dû construire lui-même sa propre ligne d'alimentation,
sur une distance d'environ un demi-kilomètre. Il a acheté des vieux
poteaux ayant appartenu auparavant à la société d'État et fait
installer la ligne par un électricien. Une petite révolution en soi!
Dorénavant, non seulement les outils pouvaient fonctionner normalement,
mais les commodités "débarquaient" au chalet.
Un petit havre de paix
Tous ces travaux, Hugues Ménard en parle avec
enthousiasme. "Quand j'arrive sur ma terre, c'est le bonheur total,
lance-t-il. Quand je suis à l'Université, j'ai à me pencher sur des
problèmes ardus, à respecter des échéanciers très serrés. Je vis bien
avec ça, car j'ai beaucoup de plaisir à faire de la recherche avec mes
étudiants et mes collègues, mais j'ai besoin de pouvoir relaxer. Et les
travaux m'aident à le faire." Ses projets de construction, il les
voit comme un hobby. "On a tous à se poser la question : "Qu'est-ce
qu'on fait après les journées de travail?" Pour moi, qui ne sait
que travailler, la solution était simple. Travailler, mais à quelque chose
de différent."
Sa maison de campagne, il la veut rustique. Pour lui, il
est important qu'elle conserve cette âme campagnarde qui rappelle à tous
les visiteurs qu'on est là ailleurs, loin de l'univers stressant du
travail. Pour ajouter à l'air campagnard, Hugues Ménard s'est donné
pour mission de la meubler d'antiquités, de pièces ramassées ça et
là, des petits bijoux qu'il ajoute à ce qu'il appelle "son petit
musée". C'est tantôt une vieille pince à glace, tantôt un
séparateur de crème qui grossit sa collection. Au moment de notre passage
chez lui, c'était une balance suspendue.
Ce petit havre de paix, Hugues Ménard se fait un devoir
de le partager. La famille y célèbre les réveillons de Noël depuis
quelques années et, une fois l'an, le professeur invite collègues et
étudiants à respirer le bon air de la campagne. À plusieurs reprises,
Hugues Ménard a même convié chez lui des invités étrangers qui, tous,
sont tombés en amour avec son coin de pays. Une richesse qui frappe
grandement les Européens, notamment, habitués aux espaces plus confinés.
Cette richesse, non monnayable, est en fait celle d'un homme en communion
avec la nature.
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