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Liaison région, 8 avril 2004
Une identité anglo-québécoise basée
sur la camaraderie plutôt que sur le conflit
MARIE-CLAUDE COPPEX
On sait à quel point le débat linguistique est chaud au Québec. Il
imprègne la vie culturelle, politique et sociale de notre coin de pays. La
relation entre anglophones et francophones a été bâtie sur une mémoire
collective qui, de génération en génération, a véhiculé des images
conflictuelles. Pourtant, l'histoire démontre que l'antagonisme entre ces
deux populations n'a pas toujours été aussi absolu qu'on le pense. Cette
nouvelle perspective pourrait jeter les bases à l'édification d'une mémoire
collective anglo-québécoise différente, basée sur la camaraderie plutôt que
sur l'antagonisme. C'est ce qui ressort de la présentation faite par le
comparatiste Martin Cyr Hicks, dans le cadre du 5e Colloque annuel des
étudiantes et étudiants en littérature canadienne comparée de l'UdeS, qui
s'est tenu le 25 mars à la Faculté d'éducation.
Y a-t-il une culture anglo-québécoise? Si oui, sur quelle mémoire
collective repose-t-elle? s'est interrogé Martin Cyr Hicks. Il explique que
la traditionnelle mésintelligence entre anglophones et francophones du
Québec a été nourrie par la mémoire collective qui n'a retenu que les
situations conflictuelles entre les deux peuples. Avec, en 1976, l'arrivée
au pouvoir du Parti québécois et l'établissement de lois protégeant la
langue française, les anglophones du Québec ont réalisé pour la première
fois de leur histoire qu'ils étaient minoritaires. Ils ont alors perçu les
lois sur la langue et toute affirmation de l'identité francophone nationale
comme une forme de harcèlement, une menace.
Les New Anglo
Mais aujourd'hui cette sensibilité d'arrière-garde perd du terrain. Les
attitudes changent. Les Anglo-Québécois de la nouvelle génération sont
bilingues et ne peuvent imaginer vivre à l'extérieur du Québec. Ils aiment
être entourés de Québécois francophones tout en appréciant le voisinage de
l'immense culture anglophone nord-américaine. The Gazette les a
nommés the New Anglo. Aucune animosité n'existe entre ces nouveaux Anglo-Québécois et les francophones purs. Il y a pourtant une ombre au
tableau. Cette jeune génération ne possède pas de mémoire collective pour
cimenter sa nouvelle identité.
La mémoire collective d'un peuple ne véhicule pas nécessairement des
moments d'histoire réels. Il s'agit plutôt d'une création collective,
subjective et émotionnelle fondée sur des faits plus ou moins historiques.
Martin Cyr Hicks a fouillé l'histoire pour identifier des exemples de
solidarité entre les deux communautés, qui seraient propres à alimenter une
mémoire collective. Curieusement, ces références abondent dans l'histoire de
la colonisation du Québec, mais elles ont été passées sous silence.
On y découvre que les militaires anglais étaient plus tolérants avec les
Canadiens français qu'avec les commerçants anglophones. Des relations
d'amour, d'amitié et d'entraide se développaient souvent entre colonisateur
et colonisé, comme en témoigne le feuilleton télévisé Marguerite Volant, où
l'héroïne tombe amoureuse d'un officier anglais. Quant à la rébellion des
patriotes, la mémoire collective a toujours souligné le caractère haineux
des relations entre les deux communautés. Mais on oublie trop souvent que
les lieutenants de Papineau, Wolfred et Robert Nelson, étaient anglophones.
En magnifiant les modèles historiques de solidarité, les Anglo-Québécois
de la nouvelle génération pourraient créer une mémoire collective qui soit
en harmonie avec celle des Québécois. C'est à cette condition, pense Martin Cyr Hicks, que les Anglo-Québécois pourront former une société distincte,
libérée de la culpabilité liée à la colonisation.
Un riche colloque
Une vingtaine d'étudiants de l'Université de Sherbrooke, du
Nouveau-Brunswick, de Montréal, d'Alberta, d'Erlangen en Allemagne, de
l'Université York et du Collège Glendon ont présenté leurs travaux de
recherche à ce colloque en littérature canadienne comparée. «Ce colloque
veut offrir aux étudiantes et étudiants une plate-forme pour qu'ils puissent
s'exercer à présenter leurs travaux à la communauté scientifique», explique Roxanne Rimstead, responsable du programme en littérature canadienne
comparée et instigatrice de cet événement annuel. Depuis que ce colloque
existe, un nombre grandissant d'étudiants de Sherbrooke présentent chaque
année leurs travaux au colloque national de littérature comparée à Moncton.
Par ailleurs, les deux conférenciers invités, le romancier Naïm Kattan,
d'origine irakienne, et la traductrice littéraire Sheila Fischman, ont fait
salle comble. L'auteur d'Adieu Babylone a évoqué le rôle qu'il a joué durant
les 25 années passées à la tête du Conseil des arts du Canada. Quant à
Sheila Fischman, qui a obtenu le Prix du gouverneur général en 1998, elle a
parlé de l'humilité comme qualité fondamentale du traducteur qui doit
constamment s'effacer devant l'auteur. Visiblement impressionnés par la
riche expérience de ces deux personnalités du monde littéraire, les
auditeurs ont dû réfréner à regrets leur curiosité pour ne pas empiéter sur
la suite du programme.
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Martin Cyr Hicks, docteur en littérature comparée et diplômé de
l'Université de Sherbrooke, a mené des recherches sur l'identité
anglo-québécoise.
Photo SSF : Roger Lafontaine |