L'histoire de toutes les femmes du Québec revit dans

Albertine en cinq temps

Pour la première fois depuis sa création en 1984, le chef-d'oeuvre de Michel Tremblay, Albertine en cinq temps, était de retour sur la scène montréalaise la saison dernière et sera de passage à la Salle Maurice-O'Bready, le 15 avril. Les critiques sont unanimes : la pièce, dirigée par l'excellente metteur en scène Martine Beaulne, se classe au niveau des grandes tragédies grecques. L'impressionnante distribution compte des noms aussi prestigieux que Sophie Clément, Macha Limonchik, Élise Guilbault, Andrée Lachapelle, Monique Mercure et Guylaine Tremblay.

Albertine a 70 ans. Elle emménage dans sa chambre au Centre d'accueil, la dernière étape de sa vie. Le vide total et la solitude lui offrent l'occasion de faire un retour sur les différentes époques de son existence. Albertine, cette vieille femme pleine d'une rage sourde et d'un grand sentiment de culpabilité, cherche un sens à son court passage sur terre. Dans un grand escalier, le décor métaphorique représentant un accès à une vie meilleure, Albertine rencontre les fantômes d'elle-même, de ce qu'elle a été à 30, 40, 50 et 60 ans.

Les cinq Albertine, personnifiées par Macha Limonchik (30 ans), Élise Guilbaut (40 ans), Sophie Clément (50 ans), Andrée Lachapelle (60 ans) et Monique Mercure (70 ans), s'entrecroisent, se contredisent, rectifient certains événements qui ont marqué leur vie. Un grand débat s'engage entre les facettes de la personnalité multiple du personnage. Leur soeur Madeleine (Guylaine Tremblay) tente de les apaiser, mais en vain. L'extrême lucidité d'Albertine ne lui laisse aucun repos.

Ce drame polyphonique, à la fois très dur et touchant, dévoile la réalité des femmes, prisonnières de l'idéologie patriarcale prédominante au Québec, de même que partout ailleurs. La vie des femmes, victimes de l'Église, et sur qui pèsent de nombreux préjugés, est marquée par l'impuissance. Pour la metteur en scène, Martine Beaulne, Albertine en cinq temps, c'est l'histoire de toutes les femmes, des Grecs à aujourd'hui.

Comme certains critiques l'affirment, une seule des comédiennes vaut le déplacement, alors imaginez les six! L'interprétation d'une grande sensibilité de la part de ces femmes, fortes de plusieurs années d'expérience, a conquis le public. Monique Mercure joue à merveille le rôle de la septuagénaire lucide qui n'attend plus rien de la vie; Andrée Lachapelle est méconnaissable en vieille geignarde décomposée; Macha Limonchik rend d'une façon stupéfiante la subtile montée de la rage; Élise Guilbaut s'affiche comme une excellente tragédienne et Sophie Clément interprète admirablement une Albertine quinquagénaire qui se noie dans le seul petit bonheur de son existence. Enfin, Guylaine Tremblay montre avec subtilité la douceur et la discrétion de Madeleine, la confidente d'Albertine.

Albertine en cinq temps, une oeuvre qui compte parmi les plus touchantes qu'ait écrites Michel Tremblay, continue d'être d'actualité. Treize ans après sa création, cette magnifique ode à la douleur marque le spectateur et lui laisse un souvenir ineffaçable.

Marie Vézina